Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/533

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nailles qui faisoient un cri perpétuel. Il couroit toujours fort vite, et pourtant ils reconnurent que c’étoit du Buisson, ce qui les affligea fort de le voir en cet équipage ; car ils s’imaginoient que l’on lui avoit fait quelque affront, ou bien qu’il avoit perdu l’esprit ; et cette dernière pensée étoit la plus vraisemblable, parce qu’il faisoit quelquefois le moulinet autour de soi avec une houssine qu’il avoit arrachée à un laquais, et il s’en escrimoit comme d’un bâton à deux bouts, et il ne cessoit de chanter mille chansons bouffonnes. Quand il passa aussi devant eux, il ne fit pas beaucoup semblant de les voir ; mais, ayant seulement regardé Hortensius, il lui donna un bon soufflet. Alors les cris se redoublèrent, et il courut plus vite qu’auparavant. Les uns disoient qu’il étoit ivre, les autres qu’il étoit fol, les autres qu’il avoit la fièvre chaude et que l’air de Rome étoit nuisible à la plupart des François ; et quelques-uns disoient qu’il n’y avoit que de la méchanceté en lui, et qu’il le falloit arrêter et le lier. Mais nos gentilshommes françois empêchèrent ceux qui lui vouloient faire de la violence, et le suivirent jusque dans la maison de Raymond, où il se jeta tout d’un coup. Ils y furent presque aussitôt que lui, et, quand il les vit, il leur dit qu’ils le sauvassent de cette canaille, et que l’on le laissât reposer. Ils connurent bien alors qu’il avoit le jugement bon ; et, l’ayant fait entrer dans une chambre, l’on lui conseilla de se coucher, et l’on ne fit que découvrir un lit, et il se jeta entre deux draps. Ayant un peu repris haleine, il parla de cette sorte à ses amis : Il faut que je vous déclare ici mes folies : j’ai été plusieurs fois voir des courtisanes de cette ville, que j’ai escroquées par plaisir, ainsi que j’avois accoutumé de faire à celles de France. Or il y en a eu une qui en a voulu avoir raison, laquelle on appelle Fiammette. Je lui avois promis de l’aller voir cette nuit, et je l’allai trouver hier au soir au partir d’ici ; car, encore que j’eusse fort en la tête l’affaire de Francion, si est-ce que je ne voulois point manquer à me donner ce plaisir. Je me coulai donc dedans sa maison, et je parlai à sa servante, qui me fit entrer dans une garde-robe, où elle me dit qu’il falloit que j’attendisse qu’un parent de sa maîtresse l’eût quittée, d’autant qu’elle ne vouloit pas que cet homme fût témoin de ses amours. Enfin elle me dit qu’il s’en étoit allé, et que je n’avois qu’à me déshabiller et m’en aller coucher avec Fiammette