Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/86

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comme à la fille d’une bourgeoise, et, avec cela, elle parut si mignarde, que je ne vous le puis exprimer. Quand elle marchoit après moi par la rue, l’un disoit qu’elle avoit un visage d’ange, et l’autre louoit ses cheveux blonds et frisottés, ou son jeune sein qui s’enfloit petit à petit, et dont elle découvroit une bonne partie. J’épiois finement quand quelqu’un la regardoit et la suivoit jusque chez nous ; puis je la faisois tenir à la porte, afin qu’en passant il la pût voir encore, et s’empêtrer davantage dans les liens de sa beauté.

Il me sembla bien qu’il étoit temps de la monter aux plus hautes classes, et de lui donner de plus doctes leçons. C’est pourquoi je ne la gouvernai plus en enfant, et commençai à lui apprendre ce qui lui étoit nécessaire pour surgir à un heureux port dans la mer de ce monde.

Depuis, elle ne fut point chiche d’œillades à ceux qui lui en jetoient, et je vous assure bien qu’elle les envoyoit si amoureusement, qu’elle remportoit toujours un cœur en récompense. Voyez un peu l’artifice dont je lui faisois user, afin que chacun m’estimât de celles que l’on appelle femmes d’honneur. Lorsque je me retournois vers elle, elle abaissoit soudain les yeux, comme si elle n’eût plus osé regarder les hommes licencieusement, comme elle avoit fait quand j’avois eu le dos tourné.

Entre les jeunes muguets qu’elle avoit charmés, il y en avoit un plus brave que les autres, nommé Valderan, que je croyois être aussi le plus riche : comme notre voisin, il nous accosta bientôt, et me demanda la permission de nous venir visiter, laquelle je lui accordai avec des remercîments de l’honneur qu’il nous vouloit faire ; néanmoins je recommandai bien à Laurette de lui témoigner toujours une petite rigueur invincible, jusqu’à tant qu’il répandît dans ses mains force écus d’or, que je lui disois être des astres qui donnent la qualité de dieux en terre à ceux qui les ont en maniement, ainsi que les planètes, qui sont au ciel, donnent ce même honneur aux intelligences qui les régissent. Je suis sçavante, oui, vous ne le croyez pas ; je veux vous montrer que j’ai quelquefois lu les bons livres, où j’ai appris à parler phœbus.

Or mes remontrances n’étoient pas vaines envers Laurette ; elle les sçavoit si bien observer, qu’elle ne voyoit pas une fois