Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/87

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Valderan, qu’elle ne se plaignit à lui, à part, que sa tante (qui étoit moi) étoit la plus chiche femme du monde. Mon père m’a envoyée beaucoup d’argent pour me r’habiller tout à neuf, lui disoit-elle, mais elle n’en veut point faire d’emplette pour moi, et je pense même qu’elle l’a employé à ses nécessités particulières, encore que, Dieu merci, elle soit d’ailleurs très-bien payée de ma pension. Après cette menterie, elle ne feignoit[1] point de demander de l’argent à Valderan, pour acheter une cotte ou une robe ; et, lorsqu’il lui disoit qu’il auroit bien de la peine à lui donner ce qu’elle lui demandoit, elle lui répondoit : Eh ! comment voulez-vous que je connoisse votre affection, si vous ne vous portez en des difficultés extrêmes pour la témoigner ?

Par des subtilités semblables, elle tira de lui à la fin quelque peu d’argent : il pensoit que, pour cela, elle fût obligée de se donner toute à lui ; mais il fallut bien qu’il quittât cette opinion, lorsqu’il vit qu’elle le dédaignoit plus que de coutume.

En ce temps-là, il y eut un brave et leste financier, appelé Chastel, qui acquit notre connoissance par le moyen d’une fille qui nous servoit, laquelle lui représenta si bien nos nécessités, selon mon instruction, que, pour avoir part à nos bonnes grâces, et tâcher d’obtenir du remède à l’affection qu’il avoit pour Laurette, il nous fit plusieurs largesses, qui captivèrent infiniment notre bienveillance. C’étoit un rieur, qui ne sçavoit ce que c’étoit que ces grands transports d’amour. Il fuyoit tout ce qui lui pouvoit ôter son repos, et ne vouloit point que l’on lui refusât deux fois une chose. Moi, qui connoissois son humeur, je lui faisois le meilleur visage que je pouvois, ainsi que faisoit pareillement ma nièce.

Un soir, nous revenions de la ville comme il venoit de sortir de chez nous, et Valderan nous vint voir en même temps. Laurette prit le miroir selon sa coutume, pour accommoder ses cheveux, et notre servante, la regardant, se prit si fort à rire qu’elle lui demanda ce qu’elle avoit. Elle, qui étoit une délibérée sans dissimulation, lui dit : M. Chastel vient de sortir de céans ; vous ne sçavez pas ce qu’il a fait ? En vous

  1. Feindre signifie ici craindre.