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de Beauvilliers. Les Troglodytes de Montesquieu sont les précurseurs de la cité de Mably et de la république de Rousseau.

Frondeur et paradoxal en politique, Montesquieu, dans ses Lettres persanes, est tout esprit fort en religion. Il est jeune, il est confiant en sa raison, confiant en sa santé, confiant dans la vie. Il est tranchant, il est acéré, il est impitoyable aux compromis du monde et aux conversions de la dernière heure. Il l'est d’une main légère, qui semble effleurer la peau et qui coupe sans merci. Toute la polémique voltairienne paraît en germe dans les lettres sur les changements de l’univers et sur les preuves de l’islamisme ; mais c’est du Voltaire plus puissant et plus serré. Montesquieu parle de l’Église avec ironie, des théologiens avec dédain, des moines avec mépris. Les missionnaires mêmes ne trouvent point grâce à ses yeux : « C’est un beau projet de faire respirer l’air de Casbin à deux capucins ! »

Montesquieu ne juge bon ni à l’État ni à la société que l’on propage des religions nouvelles ; mais il pense que, partout où il en existe de différentes, on doit les obliger à vivre en paix. Cette tolérance oblique et imparfaite est fort éloignée de la liberté de conscience ; cependant les contemporains s’en seraient fort bien, accommodés. Il y avait grand mérite à la proposer et grande hardiesse à la soutenir publiquement. Montesquieu la revendique avec éloquence. Ses lettres sur les autodafés, ses vues