Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/290

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pensée morale des gens qui ont la prétention de nous diriger. Il est désormais acquis que les associations politico-criminelles qui fonctionnent par la ruse, ont une place reconnue dans une démocratie parvenue à sa maturité. P. De Rousiers croit que l’Amérique arrivera un jour à se guérir des maux qui résultent des manœuvres coupables de ses politiciens. Ostrogorski, après avoir fait une longue et minutieuse enquête sur « la démocratie et l’organisation des partis politiques », croit avoir trouvé des solutions qui permettraient de débarrasser les États modernes de l’exploitation que les partis exercent sur eux. Ce sont là des vœux platoniques ; aucune expérience historique ne permet de supposer que l’on puisse faire fonctionner une démocratie, dans un pays capitaliste, sans les abus criminels que l’on constate aujourd’hui partout. Lorsque Rousseau demandait que la démocratie ne supportât dans son sein aucune association particulière, il raisonnait d’après la connaissance qu’il avait des républiques du moyen âge ; il savait mieux que ses contemporains cette histoire et était frappé du rôle énorme qu’avaient joué alors les associations politico-criminelles ; il constatait l’impossibilité de concilier la « raison » dans une démocratie avec l’existence de telles forces ; mais l’expérience devait nous apprendre qu’il n’y a pas de moyen de les faire disparaître[1].

  1. Rousseau, posant la question d’une manière abstraite, a paru condamner toute sorte d’association et nos gouvernements se sont appuyés longtemps sur son autorité pour soumettre toute association à l’arbitraire.