Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/314

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suite, on trouve d’autant plus de vertu qu’on descend davantage dans l’échelle sociale. Bien des fois, les démocrates ont fait observer, à l’appui de leur conception, que, durant les révolutions, les plus pauvres ont souvent donné les plus beaux exemples d’héroïsme ; ils expliquent cela en supposant que les héros obscurs étaient de véritables enfants de la nature. Je l’explique en disant que, ces hommes étant engagés dans une guerre qui devait se terminer par leur triomphe ou par leur esclavage, le sentiment du sublime devait naître tout naturellement des conditions de la lutte. Durant une révolution, les gens des hautes classes se présentent d’ordinaire sous un jour particulièrement défavorable ; c’est qu’appartenant à une armée en déroute, ils ont des sentiments de vaincus, de suppliants ou de capitulards.

Dans les milieux ouvriers qui sont raisonnables au gré des professionnels de la sociologie, lorsque les conflits se réduisent à des contestations d’intérêts matériels, il ne peut y avoir rien de plus sublime que lorsque des syndicats agricoles discutent avec des marchands d’engrais au sujet des prix du guano. On n’a jamais estimé que les discussions portant sur des prix soient de nature à exercer une influence moralisatrice sur les hommes ; l’expérience des marchés de bestiaux pourrait conduire à supposer que dans de telles occurrences les intéressés sont amenés à admirer plutôt la ruse que la bonne foi ; les valeurs morales des maquignons ne passent point pour être très relevées. Parmi les grandes choses accomplies par les syndicats agricoles, De Rocquigny rapporte qu’en 1896 « la municipalité de Marmande ayant voulu soumettre les