Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/353

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

combina des valeurs anciennes avec les valeurs qui devaient dominer de plus en plus ; la guerre et la production avaient cessé de préoccuper les gens les plus distingués des villes, qui cherchaient à s’assurer une douce existence ; il s’agissait surtout d’établir des rapports d’amitié entre des hommes bien élevés et la règle fondamentale sera donc de demeurer toujours dans un juste milieu ; la nouvelle morale devra s’acquérir surtout par les habitudes que prendra le jeune grec en fréquentant une société cultivée. On peut dire que nous sommes ici sur le terrain de la morale des consommateurs ; il ne faut pas s’étonner si des théologiens catholiques trouvent encore la morale d’Aristote excellente, car ils se placent, eux aussi, au même point de vue des consommateurs.

Dans la civilisation antique, la morale des producteurs ne pouvait guère être que celle du maître d’esclaves et elle n’a point paru mériter de longs développements à l’époque où la philosophie fit l’inventaire des usages grecs. Aristote dit qu’il ne faut pas une science bien étendue et bien haute pour employer des esclaves : « Elle consiste seulement à savoir commander ce que les esclaves doivent savoir faire. Ainsi, dès qu’on peut s’épargner cet embarras, on en laisse la charge à un intendant, pour se livrer à la vie politique ou à la philosophie. »[1] ; et un peu plus loin, il écrit : « Il faut donc avouer que le maître doit être pour l’esclave l’origine de la vertu qui lui est spéciale, bien qu’il n’ait pas, en tant que maître, à lui communiquer l’apprentissage de ses travaux »[2]. Nous

  1. Aristote, Politique, livre I. chap. ii, 23.
  2. Aristote, op. cit., livre I, chap. v, 11.