Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/39

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objections contre sa possibilité pratique. Il paraît que j’ai eu, au contraire, une bien mauvaise idée, puisque les uns me disent que les mythes conviennent seulement aux sociétés primitives, tandis que d’autres s’imaginent que je veux donner comme moteurs au monde moderne des rêves analogues à ceux que Renan croyait utiles pour remplacer la religion[1] ; mais on a été plus loin et on a prétendu que ma théorie des mythes serait un argument d’avocat, une fausse traduction des véritables opinions des révolutionnaires, un sophisme intellectualiste.

S’il en était ainsi, je n’aurais guère eu de chance, puisque je voulais écarter tout contrôle de la philosophie intellectualiste, qui me semble être un grand embarras pour l’historien qui la suit. La contradiction qui existe entre cette philosophie et la véritable intelligence des événements a souvent frappé les lecteurs de Renan : celui-ci est, à tout instant, ballotté entre sa propre intuition qui fut presque toujours admirable, et une philosophie qui ne peut aborder l’histoire sans tomber dans la platitude ; mais il se croyait, hélas ! trop souvent, tenu de raisonner d’après l’opinion scientifique de ses contemporains.

Le sacrifice que le soldat de Napoléon faisait de sa vie, pour avoir l’honneur de travailler à une épopée « éternelle » et de vivre dans la gloire de la France tout en se

  1. Ces rêves me semblent avoir eu principalement pour objet de calmer les inquiétudes que Renan avait conservées au sujet de l’enfer. Cf. Mouvement socialiste, mai 1907, pp. 470-471.