Page:Sorel - Réflexions sur la violence.djvu/395

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romain commençait à se décomposer[1] : elle leur assurait une justice plus régulière que celle des tribunaux officiels ; elle achetait la bienveillance de la police impériale pour éviter ses tracasseries[2] ; elle entretenait des bandes de pauvres qui pouvaient être d’un grand secours pour défendre les bourgeois paisibles contre les agitateurs des métropoles.

L’Empire, après la conversion de Constantin, acheva de donner à l’autorité épiscopale un prestige qui lui permit de s’imposer aux conquérants germaniques. Pendant plusieurs siècles, l’Église protégea, d’une manière très efficace, des groupes privilégiés dans lesquels se maintint une très bonne partie de la tradition romaine ; notre civilisation occidentale doit au catholicisme bien autre chose que la conservation de la littérature ancienne ; elle lui doit surtout ce qu’elle renferme d’esprit romain ; et nous pouvons nous rendre compte de la valeur prodigieuse de cet héritage en comparant les peuples qui y ont participé, aux Orientaux, qui ont tant de peine à comprendre nos institutions[3].

  1. Renan compare l’évêque du iiie siècle aux évêques grecs ou arméniens de la Turquie contemporaine (Renan, op. cit., p. 586)
  2. Tertullien s’indigne de ce que l’Église peut ainsi modérer les persécutions (Tertullien. De fuga, 13).
  3. Les Allemands semblent avoir particulièrement profité des leçons de l’Église. Quand on examine la résignation avec laquelle ils acceptent l’inégalité, la stricte discipline qu’ils observent dans leurs associations comme à l’armée et à l’atelier, la ténacité dont ils font preuve dans leurs entreprises, on ne peut faire autrement que de les comparer aux