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s’interroger ; mais, sur un signe de Pierre, ils sortirent à leur tour et laissèrent Luizzi seul. Le malheureux baron resta donc en présence de ses réflexions. Il était entre les mains d’un bourreau ignorant qui devait le tuer de toute nécessité par ses remèdes, et au pouvoir de domestiques dont il avait dévoilé les coupables projets sans persuader personne, et qui avaient un intérêt certain à ce qu’il ne se rétablît point pour éviter le châtiment qu’il pourrait vouloir leur infliger. Luizzi se sentit perdu. Il n’avait nul moyen de prévenir ses amis, et d’ailleurs pouvait-il dire qu’il eût des amis ? C’en était fait de lui, sans doute. Ses domestiques tenaient un conciliabule dans l’antichambre pour consommer un crime devenu nécessaire. Que faire, que devenir, à qui s’adresser ? au Diable ? Luizzi recula encore devant l’idée de se remettre en rapport avec cet agent infernal : n’était-ce pas lui qui l’avait mis dans l’épouvantable position où il se trouvait ? Peut-être Satan ne l’en retirerait-il que pour le plonger dans une position plus abominable ? Cependant c’était sa seule ressource, et, dans l’abandon où il se trouvait de tout secours humain, le baron appela Satan. Mais Satan ne parut pas, et Luizzi reconnut que cette espérance encore lui était enlevée. En effet, la sonnette souveraine était hors de sa portée, et il n’avait pas plus de moyen de faire obéir son esclave infernal que ses domestiques humains. Grâce à cette impossibilité, l’espoir que Luizzi avait mis dans Satan en désespoir de tout autre lui parut un moyen assuré de salut qui lui était enlevé, et il le désira d’autant plus ardemment qu’il ne pouvait plus en user ; il déplora amèrement de n’avoir pas profité des moments où ses domestiques lui obéissaient pour demander son talisman, et il s’écria dans un mouvement de rage :

— Oh ! je donnerais dix ans de ma vie pour avoir cette sonnette !

— Vrai ? dit le Diable en paraissant soudainement au pied de son lit.

— Ah ! c’est toi, Satan ? lui dit Luizzi, délivre-moi, sauve-moi.

— Et tu me donneras dix ans de ta vie ?

— Ne m’en as-tu pas déjà assez pris ?

— Pas assez, puisque tu as fait tant de sottises.

— C’est toi, infâme, qui m’y as poussé.

— En t’obéissant.

— En me cachant la vérité.

— En te la disant. Seulement, baron, sache bien une chose, c’est que celui qui a fait ce monde est un habile ouvrier ; quand il a mis aux yeux des hommes des paupières, ç’a été pour qu’ils ne devinssent pas aveugles sous l’éblouissante clarté du soleil ; quand il leur a donné l’ignorance, l’erreur, la cré-