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baron ! Il ne s’agit plus que de persévérer dans les mêmes voies ; encore deux cents sangsues et quinze applications sinapisées, et vous serez en état de monter à cheval.

— Je l’espère, docteur, dit Luizzi.

— Mais ce que je vous recommande surtout, c’est la diète la plus exacte.

— Comment, docteur, pas le moindre aliment ?

— Pas un verre d’eau sucrée. La plus légère nourriture, c’est la mort.

— La mort ? dit Luizzi alarmé.

— La mort immédiate et foudroyante.

— Bah ! fit le baron d’un air railleur.

— Nouvelle congestion au cerveau, délire, frénésie, ramollissement du cervelet, coma et mort.

— Ô Molière ! pensa Luizzi.

— Vous m’entendez bien, madame Humbert, dit le docteur Crostencoupe.

— Sans doute, sans doute, monsieur le docteur.

— À demain.

Et il sortit. Le lendemain il arriva, apportant une énorme boîte de pastilles et une bouteille cachetée qu’il déposa sur le lit du malade.

— Voici, dit-il, qui doit compléter votre guérison. Vous prendrez une de ces pastilles d’heure en heure, et dans l’intervalle, vous ne manquerez pas de boire une cuillerée à café de cette liqueur.

— Je le ferai, docteur, je vous assure.

M. Crostencoupe sortit, et immédiatement après madame Humbert apporta un bouillon à Luizzi, qui le prit avec la joie d’un enfant.

Huit jours se passèrent ainsi, pendant lesquels le docteur ne manquait pas de faire une visite tous les matins et une visite tous les soirs, et recommandait l’usage exact de ses pilules et de son julep, qu’on jetait exactement d’heure en heure par la fenêtre. Le baron assurait qu’il se trouvait trop bien de ce régime pour y manquer. Toutefois, au bout d’une semaine, il se hasarda à demander au docteur la permission de prendre un peu de bouillon.

— Du bouillon ! repartit le docteur, du bouillon ! vous voulez donc détruire l’effet de tous mes soins ? du bouillon ! prenez de l’arsenic, ce sera plus tôt fait.

— C’est que, voyez-vous, docteur ? reprit Luizzi en souriant, voilà huit jours que j’en prends.

— Bah ! fit le docteur sans trop d’étonnement.

Il réfléchit et reprit :

— Je comprends, les pilules et le sirop ont prévenu l’effet de cette détestable nourriture. Je suis ravi de ce que vous me dites, cela me prouve qu’elles sont encore plus souveraines que je ne le croyais.

— Ainsi, je puis continuer le bouillon ?

— Oui, mais en le coupant de beaucoup d’eau et