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garda, comme pour s’assurer qu’elle ne jouait pas une comédie ; mais il y avait tant de sincérité dans l’attitude et dans l’étonnement d’Olivia, qu’il ne put pas douter de la vérité de ce qu’elle lui disait. Il demeura longtemps en silence devant elle, admirant sur ce beau visage, qui semblait avoir été éprouvé par les passions, la surprise naïve d’une jeune fille à qui l’on vient de découvrir son cœur et qui s’étonne des nouvelles émotions qu’elle ressent. Olivia se taisait toujours, et toujours M. de Mère la regardait. Enfin elle leva les yeux sur lui et s’écria douloureusement :

« — En vérité, vous venez de me faire bien du mal !

« — Et comment ?

« — Je ne puis vous le dire ; mais cette vie que je mène, et qui m’était déjà insupportable, va me devenir impossible ; mais la présence de cet homme qui me déplaisait va maintenant me faire honte ; mais tous ces plaisirs qui ne me semblaient que frivoles vont me paraître odieux ; ce que je croyais la satiété n’est plus que le vide de mon cœur.

« — Avez-vous donc renoncé à l’occuper ?

« — À mon âge, reprit Olivia en souriant, à mon âge aimer, et aimer comme une enfant, ce serait une folie ; ce serait pis encore, ce serait ridicule.

« — On n’est jamais ridicule, Madame, dit le général, lorsqu’on est belle comme vous l’êtes et qu’on a un sentiment vrai dans le cœur.

« — C’est comme si on vous disait, à vous, reprit Olivia, de vous exposer encore à ces tumultueuses émotions dont vous me parliez tout à l’heure ; assurément vous ne voudriez pas y consentir.

« — Moi, Madame, je bénirais l’heure, le moment où je pourrais sentir ce que j’ai éprouvé autrefois ; et je dois vous dire toute la vérité. Il me semble que, depuis si longtemps que mon cœur est muet, il a retrouvé dans son repos toute sa jeunesse, toute sa force, tout son délire. »

En parlant ainsi, le général regardait Olivia de façon à lui faire croire que c’était à elle que s’adressait l’espérance de cette passion. Elle en fut troublée et lui dit en riant :

« — Allons ! ne faisons pas d’enfantillage. Vous oubliez que pour l’amour nous sommes des vieillards, et que les jeunes fous avec qui nous avons passé la soirée étaient plus maîtres d’eux que nous ne le sommes nous-mêmes. Voyons, ajouta-t-elle, parlons de vous qui avez des espérances… des espérances de gloire, j’entends.

« — Pourquoi me donner la préférence ? reprit le général.

« — Oh ! répondit Olivia, parce qu’il n’y a plus rien à dire de moi, parce que j’ai