Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/334

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jeté un voile sur mon passé et que je ne veux pas regarder dans mon avenir. Une vie ennuyeuse et dépourvue de tout intérêt, voilà ce qui me reste. J’y suis résignée ou je m’y résignerai. Mais vous, vous avez une belle carrière : vous y avez déjà fait de grands pas, et il vous en reste de plus grands à faire encore. C’est si beau de penser qu’on peut arriver à occuper de son nom la France, le monde, la postérité ! et vous avez tout cela, vous autres hommes. Quand les passions de l’amour sont éteintes, l’ambition vous reste : vous êtes bien heureux !

« — Croyez cependant, reprit le général, que cette ambition serait encore plus puissante si on savait qu’un autre cœur s’intéresse à ce succès.

« — Allons ! allons, dit Olivia en souriant, vous voilà tout à fait redevenu jeune homme. Vous avez repris la folle ardeur de vos premières années, vous continuez vos belles illusions.

« — Pourquoi n’en pas faire autant de votre côté ? repartit le général.

« — C’est que, si on continue à votre âge, on ne commence pas au mien. »

Elle dit cette dernière parole avec un trouble et un chagrin évidents, et, avant que le général ait eu le temps de répondre, elle sonna vivement et lui dit :

« — Je vous chasse… je vous chasse ce soir, entendez bien. Je ne vous dis pas de revenir, mais je suis toujours chez moi. J’ai besoin d’être seule, je suis souffrante. Cette soirée d’hier m’a fatiguée. Adieu, et à bientôt. »

Elle mentait, ce n’était pas la soirée de la veille qui l’avait fatiguée, ou plutôt troublée si profondément. Puisqu’elle mentait, qu’éprouvait-elle ? Le général sortit après lui avoir baisé la main qu’elle voulut retirer dans un premier moment d’émotion. Olivia demeura seule avec ses nouvelles pensées…

Luizzi écoutait ce récit avec une grande attention, et remarquait l’intérêt avec lequel le Diable racontait l’histoire d’Olivia.

— Je comprends, lui dit-il, pourquoi tu veux me rendre cette femme moins odieuse qu’elle ne l’est véritablement ; mais tu auras beau faire, je ne verrai jamais dans cette histoire que beaucoup de dévergondage finissant par une ridicule passion de femme usée.

— Sot et méchant ! s’écria Satan avec un éclat qui fit trembler Luizzi, ne jugeras-tu jamais les choses que sur la stupide apparence que leur prêtent vos idées ? Ne vois-tu pas que cette femme était arrivée au plus misérable des malheurs ?

— Plaît-il ? fit Luizzi.

— Oui ! à ce