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avant d’être fini ! C’était la position d’Olivia. Aimer, pour elle, ne pouvait plus être espérer le bonheur ; couronner cet amour en devenant la maîtresse de M. de Mère n’était encore pour elle que donner sans doute et recevoir assurément une désillusion. Cette nuit d’Olivia se passa tout entière, tantôt dans ces effrois, tantôt dans le charme inouï de la douce sensation que trouvait son âme à se reposer sur le souvenir de son entretien avec M. de Mère, comme un voyageur tourmenté de spleen et de fièvre qui rencontre une couche fraîche, blanche et odorante, où, pour la première fois depuis longtemps, il trouve un délassement à sa constante lassitude.

Toutefois, l’esprit du monde se mêla bientôt à ces sensations du cœur et dicta à Olivia une résolution qui lui parut raisonnable. Ce qu’Olivia craignait, avant tout, c’était le ridicule. Pour l’éviter, elle voulut fuir une passion qui pourrait lui en donner un aux yeux de tous ceux qui la connaissaient ; mais elle ne voulut pas fuir cette passion en femme qui a l’air d’avoir peur, et, ne voulant ni éviter M. de Mère ni subir encore une fois le trouble qu’il lui avait donné, elle se décida à reprendre, pour quelque temps, une vie assez occupée de plaisirs pour que l’obsession de la pensée de M. de Mère ne pût y trouver place. Ainsi, lorsqu’il vint le lendemain, au lieu de rencontrer Olivia seule, comme il l’avait peut-être espéré, il entra dans un salon où étaient réunis le peu d’hommes de bonne compagnie que Paris possédait alors, et les quelques femmes splendidement galantes qui faisaient les frais de tous les scandales. Parmi celles-là, une entre autres avait été l’objet des attentions du général. Séduite en quelques jours et abandonnée en quelques heures par lui, elle en avait gardé une vive rancune. Avec tout autre homme que le général, elle eût peut-être tenté la vengeance la plus raffinée des femmes en pareille circonstance : c’était d’inspirer de l’amour à celui qui l’avait humiliée, afin de l’humilier à son tour par les refus les plus insultants ; mais cette femme croyait trop bien connaître le général pour espérer qu’un pareil manège pût réussir vis-à-vis de lui, et, en franche ennemie, ce fut en l’attaquant de front qu’elle voulut se venger. Il est toujours facile d’amener la conversation d’un salon sur l’inépuisable sujet de l’amour. Madame de Cauny, c’était son nom, s’en chargea, et, après quelques thèmes généraux, elle commença une diatribe cruelle contre ces hommes en qui la débauche a usé tout noble sentiment,