Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/337

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tout respect, toute pitié, et à qui elle a donné le dernier des vices, la lâcheté. Le général, qui avait écouté avec assez de dédain les furieuses déclamations de madame de Cauny, ne put cependant s’empêcher de tressaillir à ce dernier mot. Elle s’en aperçut, et, s’adressant directement à lui, elle continua avec un ton plein de sarcasme :

« — Oui, général, c’est la dernière des lâchetés que celle qui s’adresse à une femme, et en vérité je ne veux pas dire que la plus infâme soit celle qui consiste à flétrir sa réputation par des paroles. Car, si cette femme est pure, elle a le témoignage de son honneur pour se défendre, et il y a encore des gens dans ce monde dignes de l’écouter et de la comprendre ; si cette femme ne mérite aucun respect, le mal qu’on lui fait n’est pas bien grand, et il lui reste la chance de trouver dans un nouvel amant, sinon un cœur assez haut, du moins un courage assez déterminé pour punir l’infâme qui l’a outragée. »

Quoi qu’il en eût, le général se trouva si inopinément et si violemment attaqué qu’il ne fut pas le maître de cacher son trouble. Il écoutait madame de Cauny, la pâleur sur le front, les dents serrées, prêt à éclater, car Olivia écoutait aussi cette femme en regardant le général. Madame de Cauny, suffoquée par la rage, s’était arrêtée. Il ne faut pas croire cependant qu’en me servant de ce terme je veuille te dire que ces reproches avaient été adressés au général avec l’expression haletante d’une femme emportée, dont la voix crie dans la gorge et dont les yeux étincellent dans leur orbite. Tout cela avait été dit d’une voix fine et moqueuse, avec des yeux à moitié cachés sous de longues paupières. Seulement un imperceptible tremblement des lèvres, une altération presque insaisissable de la voix, montraient assez que la colère qui s’échappait par cette issue si étroitement contenue aurait éclaté avec fureur, si elle n’eût obéi à ce frein puissant qu’on appelle le respect du monde. C’est en cela que la plupart de vos faiseurs de romans modernes me semblent ignorants à représenter les passions. Dans quelque monde et à quelque époque qu’ils les fassent vivre, ils les poussent toujours jusqu’à leur expression la plus énergique ; ils font à tout propos éclater le volcan, oubliant que, sous le poids de vos mœurs policées, il brûle intérieurement et gronde plus souvent qu’il ne lance ses flammes et ses scories. Olivia était trop femme de votre monde pour ne pas avoir com-