Page:Soulié - Les Mémoires du Diable, 1858, tome I.djvu/339

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peut-être le général y eût-il trouvé une excuse contre cette terrible accusation. Mais l’accent de madame de Cauny domina toutes les dispositions railleuses de ce salon. Olivia avait continué de l’écouter, les yeux toujours fixés sur M. de Mère ; et, quoiqu’elle n’eût plus dit un seul mot, celui-ci avait bien vu qu’elle s’était épouvantée à la prévision d’un pareil malheur. Cependant le général ne pouvait pas rester sans essayer au moins une réponse, quelque futile qu’elle fût. Il reprit donc :

« — Que voulez-vous, Madame ? Le cœur est facile à se tromper : on croit aimer et il se trouve qu’on n’aime pas, le désir qu’inspire toute femme belle et spirituelle peut abuser et apparaître comme un amour véritable, puis, quand ce désir est éteint, on s’aperçoit qu’après lui il n’y avait rien.

« — Pas même l’homme d’honneur ? dit madame de Cauny ; pas même l’homme qui, dépouillé de son illusion, ménage à une femme les douleurs qu’il va lui causer ? Il ne reste rien, dites-vous, général, pas même l’homme de bonne compagnie qui enveloppe au moins de politesse la plus honteuse et la plus basse des injures ? Oh ! vous avez raison, il ne reste rien, absolument rien, que le méchant qui frappe le faible, et le manant qui insulte à toute distinction.

« — Madame, s’écria le général emporté par sa colère, pour aussi bien connaître ces hommes, il faut en avoir rencontré. Oseriez-vous les nommer ?

« — Peut-être, reprit madame de Cauny en regardant Olivia, serait-ce un service à rendre à d’autres femmes ; mais je ne puis pas pousser l’obligeance jusque-là. »

Cette conversation s’arrêta, car aussitôt madame de Cauny se leva et se retira. À peine fut-elle partie, que la frivolité reprit l’empire de la conversation, et quelques personnes se mirent à railler madame de Cauny sur sa fureur. Olivia seule, Olivia, qui la veille encore aurait été la plus ardente à jeter de joyeux propos sur ce désespoir, demeura sérieuse, et plus que sérieuse, triste. Tout en se félicitant de la résolution qu’elle avait prise, elle éprouvait la terreur du danger auquel elle avait pu être exposée et le regret de voir si complétement dépoétisé un homme par qui elle ne voulait pas se laisser persuader, mais dont les paroles l’avaient si vivement émue. Le général s’aperçut, de son côté, qu’il avait été profondément atteint dans la considération qu’Olivia semblait avoir pour lui, et il en conçut une sorte d’impatience douloureuse dont il ne voulait pas se rendre compte. Elle fut