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— Pour toi, démon ?

— Point du tout : pour elle.

— Je voudrais bien savoir comment.

— Je vais te dire l’histoire de madame Buré.

— À propos de madame Dilois ?

— C’est ma manière. Le bon moyen de juger les gens, c’est de les regarder dans les autres. Si tu te fais homme politique, regarde comment tu as jugé le souverain que tu as aimé, et tu seras juste pour celui que tu hais, et vice versa. Si tu prends femme, rappelle-toi ce que tu as supposé sur le compte des femmes de tes amis, et tu ne t’étonneras pas si la tienne te trompe ; si tu t’achètes une maîtresse, souviens-toi combien en ont payé pour toi, et persuade-toi que tu entretiens la tienne pour les autres ; n’aie pas surtout la sotte manie de te croire une exception : tout homme est né pour mentir à son père, être cocu, et se voir trompé par ses enfants. Ceux qui échappent à la destinée commune sont assez rares pour que tu n’en connaisses pas un.

— Madame Buré a donc trompé son mari ?

— Qu’appelles-tu tromper ? elle lui a rendu un service immense.

— En le faisant cocu ?

— Je parie que tout à l’heure ce sera ton avis.

— J’en doute.

— Il est vrai que nul être vivant ne pourrait te le persuader. L’aventure qui est arrivée à madame Buré est un secret entre elle et le tombeau, et personne au monde ne pourrait te le raconter, si ce n’est elle ou moi. C’est un petit drame à deux acteurs ; car, humainement parlant, je ne compte pas dans la liste des personnages, quoique, à vrai dire, je me mêle toujours un peu au dénoûment de ces sortes de pièces.

— Parle, je t’écoute, répondit Luizzi.


V

TROISIÈME NUIT : LA NUIT EN DILIGENCE.


Et le Diable commença ainsi :

C’était en 1819, dans la cour des messageries de Toulouse, le 15 février, à six heures du soir ; la nuit était close, une