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Page:Souvenirs et Reflexions.pdf/18

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urgent n’admettant pas de retard. Le plus tranquillement du monde, il s’achemina vers la mairie où l’attendaient les deux familles réunies. Bien entendu, par une sorte de convention tacite, aucun visage ne reflétait le moindre épanouissement de circonstance. Tout le monde était satisfait, mais on avait le bon goût de n’en rien laisser paraître. M. le maire fut correct et banal suivant l’usage. Alors on s’en alla trouver M. le curé ou plutôt le vicaire, la messe devant être célébrée sans apparat, à la chapelle de la Vierge. Toute simple qu’elle était, la cérémonie comportait un peu d’orgue et la présence d’un suisse. Quand celui-ci vit son monde réuni il discerna la fiancée dont un minuscule bouton de fleur d’oranger décorait le corsage kaki ; il jugea, malgré un certain désarroi dans l’assemblée, que c’étaient là des gens chics : les hommes décorés, les femmes d’une élégance discrète de bon aloi. Le moment venu, le coup de hallebarde ayant retenti et l’orgue ayant lancé les premiers accords, le suisse esquisse un pas en avant, tout en jetant un preste coup d’œil en arrière. Ô stupeur ! tout le monde lui tourne le dos ; le marié est très absorbé dans la contemplation d’un vitrail représentant la Sainte Famille. Nouveau coup de hallebarde. Cette fois on se regarde, personne ne bouge ; la Sainte Famille a tant d’attraits ! Alors, jugeant qu’une telle situation ne pouvait se prolonger la mère du marié prend le bras du père de la mariée et les voilà tous deux emboîtant le pas du malheureux suisse qui ne savait plus à quel saint se vouer. Chacun suit à la débandade, le marié en dernier, cependant que le digne homme se dit à part soi : « Tout de même, ils n’ont pas l’air de pignoufs. Mais qu’est-ce qu’ils ont donc ?… J’y suis : ça doit être quelque réparation. Eh bien quoi ? Elle est gentille cette petite ; le garçon n’est pas à plaindre. C’est égal, de tous les gens que j’ai mariés, ceux-ci sont les plus « rigolos » ; j’ai jamais rien vu de pareil ».

La messe terminée, R… s’esquive à l’anglaise ; sa jeune femme sort de l’église escortée de papa, maman… oh ! pas pour bien longtemps, car peu d’instants après, on aurait pu voir attablés tête à tête les deux époux « enfin seuls », c’est-à-dire libérés de tous les comparses du jour : « Ils ont été bons types, dit-elle » — « Ça, c’est vrai, acquiesça-t-il ». Et ils déjeunèrent de fort bon appétit.


Le procès de Mme Steinheil

Étrange ! tout est étrange ! Étrange le prestige de cette créature banale, vulgaire et sans beauté. Qu’il est difficile de détruire une légende ! Presque tous les hommes sont « pipés » dès qu’il s’agit de cette femme qu’on se représente comme une sirène, peut-être tout