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Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/129

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après les tourments ce sont les projets ! Tout un avenir à inventer, à peupler de visions, de souffrances peut-être, mais supportées à deux ; des dangers bravés de front, les mains enlacées et les cœurs confondus pour recevoir chaque coup ! Ah ! qui peut avoir connu ces premiers mirages de la jeunesse, et les oublier ? Alors même qu’ils ont disparu, on tressaille en les entendant nommer, et, comme l’aveugle plongé dans la nuit, on veut voir encore par l’œil des autres !

Sans s’en apercevoir, Maurice avait cédé à ce désir, et, pendant que ses compagnons continuaient leur entretien, il s’était approché des deux fiancés, qui, tout à leur tête-à-tête, n’y prirent point garde.

Le jeune homme était amoureusement penché vers la jeune fille, qui, les yeux baissés, roulait avec distraction le ruban de sa ceinture.

— Oui, murmurait il, d’une voix fascinante ; oui, vous étiez le souhait de mon adolescence et de ma jeunesse ! ou plutôt, mon espoir n’osait aller si loin !

— Et cependant… vous pouviez prétendre à bien d’autres ! répliquait modestement la jeune fille !

— Quelle autre eût réuni tant de mérite, s’écriait le fiancé avec chaleur : quinze cent mille francs de dot !

— Outre quelques espérances.

— Je le sais, vous avez un oncle goutteux.

— Avec une cousine hydropique.

— Sans enfants ?

— Ni collatéraux !

— Et dont vous hériterez sous peu ?

— Tous deux sont condamnés par les médecins.

— Ah ! vous êtes un ange, s’écria l’épouseur, qui saisit