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Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/182

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trefois. Les médecins examinaient toujours publiquement les malades, en découvrant chaque plaie aux yeux des élèves ; ils décrivaient froidement leurs souffrances, expliquaient, tout haut, les chances heureuses ou fatales. Le râle de l’agonisant épouvantait le malheureux livré à la crise qui devait décider de sa vie ; l’aspect du mort, recouvert par le drap funèbre, glaçait le sourire du convalescent qui se sentait renaître !

Marthe, le cœur serré, tourna vers Maurice ses yeux humides.

— Ah ! ce n’est point là ce que j’espérais, dit-elle à demi-voix ; ceci est toujours, comme de notre temps, l’infirmerie du pauvre et de l’abandonné ! Le parquet peut être plus brillant, le mur moins nu, la fenêtre plus richement ornée ; mais qu’a-t-on fait pour ceux qui souffrent ? ne sont-ils point restés confondus comme un bétail, livrés aux tentatives et aux curiosités de la science, épouvantés par la vue de ces instruments de torture ? Ah ! ce que j’espérais d’une civilisation plus éclairée, c’est que l’hôpital eût perdu son caractère de dureté ; c’est que le malade eut cessé d’être une chose à réparer gratuitement pour devenir un être souffrant dont on eût ménagé les sensations, respecté les effrois, soutenu le cœur ; c’est qu’il eût retrouvé, enfin, dans cette demeure commune, quelques-uns des soins de la famille. À quoi bon tant d’or prodigué pour les choses, si rien, hélas ! n’est changé pour les êtres ? Donnez, à chacun de ces malheureux, un coin qui soit à lui, et où les cris du mourant ne viennent point l’épouvanter ; ne traitez point son corps endolori, comme une propriété qu’il a dû vous abandonner en franchissant le seuil ; ne lui faites point sentir que ce lit est une aumône ; qu’il est à votre discré-