Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/188

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que jour plus profonde ; Pérégrinus l’avait parcourue dans toutes les directions sans pouvoir y retrouver aucune trace de son antique splendeur. L’Indoustan était habité par un peuple de bateleurs qui ne connaissait d’autre industrie que d’avaler des épées et de faire danser des serpents sur la queue ; la Perse se trouvait partagée entre deux sectes, qui s’égorgeaient pour savoir si l’on était plus agréable à Dieu en se fourrant une graine de tamarin dans la narine gauche ou dans la narine droite ; l’empire chinois, endormi par l’opium, n’offrait plus qu’un peuple de somnambules abrutis.

Restait l’Europe, dont la transformation intéressait principalement Maurice et sa compagne ; Pérégrinus y avait longtemps séjourné, et put leur en parler avec détail.

Là, les changements étaient encore plus profonds, car la vitalité ardente des populations avait dû précipiter leur élan sur la pente choisie par chacune. Ailleurs, les races s’étaient laissé glisser nonchalamment vers le but inévitable ; mais en Europe, chacune avait enfourché sa folie comme un coursier infernal, et l’avait excité de la voix et de l’éperon. À les voir ainsi passionnées à leur perte, et y volant au galop de leurs mauvais instincts, on eût dit ces barbares d’Alaric, qui, frappés de vertige au moment de la défaite, lançaient leurs chars au milieu des vainqueurs, qu’ils croyaient fuir, et volaient à la mort de toute la vitesse de leurs quadriges. Pérégrinus avait vu la Russie avortée dans sa civilisation hâtive ; géant élevé à la brochette par des empereurs de génie, qui avaient en vain espéré en faire une nation. Dépouillée de sa personnalité sans avoir la volonté nécessaire pour s’en créer une autre, ni assez policée, ni assez barbare, elle avait épuisé les efforts de cinquante czars, reflétant toujours les civilisations voisines, et rentrant dans