Mais cette folie, hélas ! devait encore grandir ! À force de fréquenter les charmantes visions des poëtes, j’y pris insensiblement une place : mes désirs s’exaltèrent sous leurs inspirations. Accoutumée à un breuvage enivrant, je repoussai la vie vulgaire comme une boisson sans saveur. Je dressai à l’amour, dans mon cœur, un temple mystérieux où ne pouvaient entrer que les plus nobles et les plus charmantes fantaisies ; je me créai un idéal dont je jurai d’attendre le modèle.
Ma famille m’annonça en vain que l’heure du mariage était venue, que de riches fiancés se présentaient ; le seul fiancé que je voulusse accepter était choisi depuis longtemps ; mais ce n’était qu’une image ! Je ressemblais à ces héros des contes de fées, qui meurent d’amour pour une princesse inconnue, dont ils ont seulement vu le portrait. Je refusai d’abord sans donner de motifs ; puis, comme on passait de la surprise au mécontentement, et du mécontentement aux reproches, je crus tout arrêter en révélant mon espoir. Il n’y eut qu’un seul cri :
— Elle est folle ! elle est folle !
Il fallait bien le croire, car nul ne me comprenait, nul ne sentait comme moi. J’acceptai l’arrêt porté, je me résignai à ne point trouver de place dans un monde fait pour d’autres esprits et d’autres cœurs ; je me dis également à moi-même :
— Tu es folle !
Et je me laissai conduire ici.
— Et vous y restez ? s’écria Marthe, qui pressait les mains de Rêveuse dans les siennes avec une admiration attendrie.
— Jusqu’à ce que le docteur me fasse transporter comme incurable dans l’île des Réprouvés. Mais voici de nouveaux