Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/203

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visiteurs. Leur curiosité m’humilie ; je crains leurs questions ; adieu, ne m’oubliez pas.

Elle embrassa tendrement Marthe, et disparut sous les bosquets comme une biche effrayée.

La jeune femme rejoignit ses compagnons, dont Manomane venait de prendre congé, et tous trois s’acheminèrent vers l’Observatoire où les attendait M. Atout.

Ils visitèrent, en passant, le Muséum, où ils aperçurent, parmi les échantillons de races perdues, les animaux domestiques que recommandait seulement leur attachement, et les bêtes fauves qui n’avaient reçu en don que leur beauté. L’utilité bien entendue avait éliminé du règne animal tout ce qui ne produisait pas un bénéfice appréciable et immédiat.

Encore les espèces conservées avaient-elles été perfectionnées par la méthode des croisements, de manière à changer de forme. Ce n’étaient plus des êtres soumis à une loi d’harmonie, mais des choses vivantes modifiées au profit de la boucherie. Les bœufs, destinés à l’engrais, avaient perdu leurs os ; les vaches n’étaient plus que des alambics animés, transformant l’herbe en laitage ; les porcs, des masses de chair qui grossissaient à vue d’œil comme des ballons ! Tout cela était parfait, mais hideux. La création, revue et corrigée, avait cessé d’être un spectacle pour devenir un garde-manger ; Dieu lui-même n’eût pu la reconnaître. La plupart des êtres créés par lui n’existaient d’ailleurs qu’à l’état scientifique ; l’œuvre des sept jours avait été mise en flacon dans de l’esprit-de-vin et confiée à l’art des empailleurs.

Quant au jardin botanique cultivé près du Muséum, on y trouvait la collection complète de toutes les herbes, ran-