Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/21

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sieurs siècles pour se retrouver au milieu du monde perfectionné qui nous est promis ?…

— Je puis l’accomplir, dit le petit dieu, en passant, avec fatuité, sur une de ses joues la pomme de sa canne en fer creux ; dites un mot, et vous vous endormez à l’instant, pour ne vous réveiller tous deux qu’en l’an trois mille.

Marthe et Maurice se regardèrent émerveillés.

— En l’an trois mille ! répéta celui-ci ; et alors les germes semés par notre époque auront rapporté tous leurs fruits ?

— En l’an trois mille ! et nous nous retrouverons ensemble ? ajouta celle-là, un bras posé sur le bras du jeune homme.

— En l’an trois mille ! et vous vous réveillerez, aussi jeunes et aussi amoureux, acheva le génie, avec un rire de financier.

— Ah ! s’il est vrai, reprit Maurice exalté, ne tardez point davantage ; montrez-nous l’avenir qu’on nous annonce si splendide ! Qui nous retiendrait dans ce présent, où tout n’est que lutte et incertitude ? Dormons pendant que le genre humain marche péniblement à travers les routes mal frayées ; dormons pour ne nous réveiller qu’au terme du voyage !

Il avait enveloppé Marthe d’un de ses bras, et l’approcha de son cœur, afin d’être sûr de l’emporter à travers ce sommeil de plusieurs siècles. M. John Progrès se pencha vers eux et avança les deux mains, comme un magnétiseur près de communiquer le fluide merveilleux qui transporte le nerf visuel dans l’occiput et l’odorat dans l’épigastre ; mais Marthe fit, un mouvement de côté.

— Ah ! s’écria-t-elle épouvantée, votre sommeil, c’est la mort ; votre monde, c’est l’inconnu ; Maurice, restons où nous sommes et ce que nous sommes !

— Non, s’écria le jeune homme fasciné, je veux voir le but.