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Les fonds dont ils auraient besoin sont absorbés par les gendres et les neveux de députés, qui obtiennent des missions artistiques pour la dégustation des vins de Tokai, l’étude des huîtres d’Ostende, ou l’examen des Circassiennes du Caucase. Voilà trois siècles qu’on travaille au catalogue ; chaque mois on classe cent volumes, et on en reçoit mille qui restent non classés ! C’est une mer dans laquelle se jettent tous les jours de nouveaux fleuves, et que l’on essaye à mettre en bassins avec une coque de noix. Aussi l’édifice eût-il déjà fléchi sous le faix toujours croissant des livres qu’on y entasse, si les rats et les collecteurs ne travaillaient sourdement à son allégement. Du reste, la police la plus rigoureuse est établie à la porte ; on interdit les gros souliers, qui feraient trop de poussière ; les parasols sont sévèrement prohibés, et chacun doit laisser, en entrant, son chapeau au portier. Aussi la bibliothèque de Sans-Pair est-elle partout citée pour modèle, et, sauf les livres, tout y est dans un ordre parfait.

Vis-à-vis la bibliothèque s’étendait un jardin public que Prétorien traversa, et où Maurice put renouveler l’observation qu’il avait déjà faite. Tous les promeneurs se livraient à quelque travail qui utilisait la locomotion. Les uns brodaient en marchant, les autres faisaient de la tapisserie, tressaient des paniers ou fabriquaient des bourses et des faux tours pour les étrennes. Les jeux publics servaient également à la production. Chaque escarpolette mettait en mouvement un pétrin mécanique pour la fabrication des gâteaux ; les chevaux de bois faisaient tourner un moulin à café, et les tirs au pistolet servaient à casser des noisettes.

Maurice remarqua surtout un homme de moyen âge qui avait réussi à rendre sa promenade triplement profitable :