Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/321

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

non à notre générosité, mais à notre sottise. Que pensera-t-on de nous ? ne nous accusera-t-on point de dureté, d’avarice, de pauvreté ? À cette dernière pensée, notre front rougit, et nous portons vivement la main à la poche.

Ainsi allaient faire les femmes sages, bien à contre-cœur, lorsqu’elles avisèrent une porte dérobée qui permettait d’éviter la grande entrée ; toutes s’y précipitèrent, tandis que la secrétaire et Mlle Spartacus, qui était allée la rejoindre, attendaient toujours les souscriptrices. Enfin, un laquais vint demander s’il pouvait éteindre ; la salle était vide !

La présidente eut besoin de s’en assurer par ses yeux ; mais quand elle ne put douter davantage, elle laissa tomber ses lunettes, et, se voilant la face avec ses deux gants de filoselle tricotée, elle s’écria, comme Caton après la bataille de Philippes :

Diutius vixi !

Ce que la secrétaire traduisit par :

— J’avais trop de manuscrits !

Pendant ce temps, Mme Facile et sa compagnie quittaient la galerie avec de longs éclats de rire et regagnaient les salons. Maurice et Marthe restèrent seuls en arrière, assis à la même place, les mains unies et se regardant.

— Toujours le même égarement, dit enfin Maurice, qui appuya sur l’épaule de la jeune femme sa tête pensive. Ah ! pourquoi faire deux camps des enfants de Dieu ? Eve n’est-elle donc plus la chair d’Adam ? Ne comprendra-t-on jamais que ce n’est point le droit qui fera disparaître la servitude, mais seulement l’amour ? Est-ce avec les récriminations et les soupçons que se cimentent les alliances ? Aimez bien, et nul n’ambitionnera le rôle de maître, mais celui d’esclave ; aimez davantage, et vous ne saurez même plus