Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1846.djvu/330

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petites pièces et retient toutes les grosses. L’État a insensiblement mis en gage entre leurs mains la terre, les fleuves, les mers, les mines souterraines et les transports aériens ; si bien qu’ils seraient les maîtres de tout, si le fauteuil et les deux chambres n’étaient là ; mais leur pouvoir entrave celui des banquiers, qui, à son tour, entrave le leur. Car là est le sublime de notre organisation politique : tout se compense et se pondère. Le char de l’État ressemble exactement à celui que l’on a découvert sur les débris de l’arc de triomphe du Carrousel, à Paris ; tiré en sens inverse par quatre chevaux de forces égales, il reste nécessairement en place, ce qui l’empêche de se heurter aux bornes ou de tomber dans les ornières.

— Mais non d’être écartelé, dit Maurice ; et, tôt ou tard, le char se disloquera.

— Si nous n’avions pas une cheville magique qui consolide tout, fit observer l’académicien.

— Et quelle est-elle ?

— La peur ! Autrefois, on mettait de la passion dans la politique, mais aujourd’hui le progrès des lumières a fait disparaître ces hommes de petite vertu qui tenaient à leurs idées et qui voulaient, à tout prix, le triomphe de ce qu’ils regardaient comme la vérité ! On ne croit pas plus à ce que l’on défend qu’à ce qu’on attaque. Les opinions sont des logements à loyer dont on déménage dès qu’on en trouve un meilleur. Aussi les luttes ont-elles plus d’apparence que de réalité : on se combat comme au théâtre, en ayant soin de ne pas se blesser, et seulement pour occuper la galerie. Nul ne porte de coups dangereux, de peur d’en recevoir ; les adversaires d’aujourd’hui seront nos alliés de demain ; la cocarde que nous sifflons, celle que nous porterons à no-