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côtés apparaissaient, en guise de rubans, des nœuds de traites soldées, constatant à la fois l’étendue des affaires de la maison Omnivore et l’exactitude de ses payements. Enfin, une plume posée sur l’oreille prouvait que le digne fabricant venait d’être subitement arraché aux douceurs de la comptabilité en parties doubles.

Il conduisit d’abord Marthe et Maurice à travers d’immenses entrepôts, où se trouvaient entassés tous les débris arrachés par ses facteurs aux ruines du vieux monde ; car telle était la spécialité à laquelle M. Omnivore devait sa fortune et son nom. Il exploitait les générations éteintes, comme on exploitait ailleurs les végétations carbonisées en houille, ou desséchées en tourbes combustibles. Sépultures antiques, débris de monuments, bronzes précieux, armes, médailles, statues, tout passait par ses mains ; son entrepôt était le magasin de curiosités du monde ; c’était là que venaient les collecteurs et les académiciens, race indestructible que la nouvelle civilisation n’avait pu faire disparaître.

Les deux époux rencontrèrent précisément un de ces derniers au moment où ils quittaient l’entrepôt. C’était le célèbre M. Atout qui avait pour spécialité d’être universel. Il représentait à lui seul vingt-huit citoyens, c’est-à-dire qu’il touchait les rétributions de vingt-huit places ; la liste de ses titres couvrait une page in-quarto, et il portait autant de croix qu’une mule espagnole de clochettes. M. Omnivore le présenta seulement comme secrétaire perpétuel de la société historique, professeur de littérature, président du conseil universitaire, directeur de toutes les écoles normales, et membre de quatorze mille sept cent trente-quatre comités.

M. Atout, qui venait d’apprendre la résurrection du