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demanda en mariage, et Yvonnette, heureuse de sa recherche, songeait aux moyens de la faire connaître à Bertaude, lorsque celle-ci se présenta avec une douzaine de marchands. Elle n’avait point voulu que sa jeune maîtresse se mariât comme une déshéritée, et elle lui apportait un trousseau complet.

Le sieur de Boutteville qui arriva comme on était occupé à l’étaler devant Yvonnette, ne parut point partager la joie de la jeune fille. On lui avait déjà parlé des grosses sommes fournies par la vieille servante, en exprimant des doutes sur leur origine ; il craignait que cette générosité ne cachât quelque secret honteux, et il ne put s’empêcher de le laisser deviner.

Bertaude se retira sans rien dire, mais elle ne reparut plus, au grand désespoir d’Yvonnette qui sentait que cette fuite confirmait les soupçons. Enfin, le jour du mariage arriva. La jeune fille parée et tremblante fut conduite jusqu’à la chapelle, dans le carrosse de madame de Villers. Comme elle en descendait sous le porche, elle se trouva entourée de mendiants qui venaient, selon l’usage, apporter leurs souhaits, en sollicitant une aumône. Tout à coup ses regards tombèrent sur une vieille femme agenouillée… Sa quenouille et son fuseau suffisaient pour la faire reconnaître : c’était la vieille servante, c’était Bertaude !

Elle courut à elle, prit ses mains, et lui demanda ce qu’elle faisait là.

— Ce que j’ai fait pendant neuf années, répondit la vieille femme qui ne put retenir ses larmes.

Et voyant M. de Boutteville, qui était accouru :

— Oui, continua-t-elle, voilà tout le secret dont on a tourmenté votre fiancé. Après vous avoir déposée au couvent, je me suis mise à parcourir, à pied, la Normandie, filant le