Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/59

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vive ; le grand couteau fixé au manche du gigot commença à enlever des tranches que de petites brochettes plongeaient ensuite dans le réservoir à jus ; la pincette d’écaille exécuta une gigue dans la salade, qu’elle foulait et retournait ; les poulardes, comme si elles eussent voulu prendre leur volée, étendirent, aux bords du plat, leurs membres aussitôt saisis et découpés ; le poisson alla se placer lentement sous la truelle d’argent qui devait le partager ; les hors-d’œuvre se mirent à tourner autour de la table comme des chevaux de manège, en ayant soin de s’arrêter devant chaque convive ; enfin, le moutardier lui-même souleva son couvercle et présenta sa petite spatule d’ivoire !

Nos deux ressuscités ne pouvaient en croire leurs yeux. M. Atout leur expliqua alors par quelles séries d’ingénieuses inventions on avait pu substituer aux machines humaines des machines plus parfaites. « Vous le voyez, continua-t-il, dans une maison bien machinée comme celle-ci, personne n’a besoin de personne… ce qui ajoute un charme singulier à l’intimité. Le progrès doit avoir pour but de tout simplifier, de faire que chacun vive pour soi et avec soi ; c’est à quoi nous sommes arrivés. Au lieu de domestiques soumis à mille infirmités, à mille passions, nous avons des serviteurs de fer et de cuivre, toujours également robustes, également sûrs, également exacts. Encore quelques efforts, et la civilisation aura conquis à l’homme l’isolement, c’est-à-dire la liberté, car chacun pourra se passer complètement des services de son semblable.

— Oui, dit Maurice, qui était devenu pensif ; mais alors que deviendra la parole du Christ, qui recom-