Page:Souvestre - Le Monde tel qu’il sera, 1859.djvu/63

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je l’ai reçue dans mes mains quand elle est née, je l’ai portée à l’église pour son baptême, je lui ai appris à marcher et à prononcer son premier mot ; si ce n’est pas l’enfant de mon sang, c’est l’enfant de mes soins. Ah ! Jésus ! à l’hospice ! N’aie pas peur, va, Yvette, tant que la Bertaude pourra remuer un seul de ses dix doigts, ton hospice sera dans son giron. »

Elle avait soulevé l’enfant, qui l’enveloppa de ses bras, en appuyant la tête sur son épaule, et elle prit avec elle la route de Falaise.

Bertaude avait son plan, dont elle n’avait rien dit à personne.

Elle connaissait aux Ursulines une sœur qui, avant d’être une sainte choisie par Dieu, avait été une femme aimée des hommes ; elle lui porta Yvonnette, avec une bourse renfermant tout ce qu’elle possédait, et lui dit : « Élevez-la comme la fille d’un gentilhomme, et ne lui refusez rien de ce qu’il lui faudra pour qu’elle fasse honneur à son nom ; car, avant que la bourse soit vide, je vous rapporterai de quoi la remplir. » Elle embrassa ensuite l’enfant, pleura beaucoup, et partit.

Mais trois mois après on la vit reparaître avec plus d’argent qu’elle n’en avait laissé la première fois. Elle continua à revenir ainsi régulièrement quatre fois par année, et chaque fois elle demandait qu’Yvonnette eût des maîtres plus habiles et des robes plus belles.

Elle seule était toujours la même : vêtue de son pauvre jupon de bure, la quenouille dans la ceinture, et marchant en faisant tourner son fuseau. On se demandait vainement d’où pouvait lui venir ce qu’elle dépen-