Page:Souza - Où nous en sommes, 1906.djvu/99

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« Une des vertus du symbolisme naissant, dit avec raison Gustave Kahn, fut de ne pas se courber devant la puissance littéraire, devant les titres, les journaux ouverts, les amitiés de bonne marque et de redresser les torts de la précédente génération. » (Symbolistes et décadents).

Désintéressement personnel et croyance dans leur art, tels furent bien les deux leviers moraux des symbolistes. Ceux qui continuent à les appeler « fumistes », ne se douteront jamais de l’héroïsme qu’on déploya, et tel qui n’avait pas acheté son morceau de pain du soir donnait ses derniers cent sous pour fonder une revue où un art indépendant pût être célébré.

Mais ces poètes poussèrent l’originalité un peu loin : ces intimités tragiques ajoutées à l’hostilité savamment entretenue contre eux ne les entraînèrent pas un instant à jouer les Chatterton. Ils eurent l’audace d’être gais ! Gardant pour leurs poèmes leurs douleurs secrètes, ils se défendirent avec des traits aigus et bariolés, joyeusement peints d’inscriptions fantaisistes. On évitait hors des ouvrages sérieux, dans les périodiques, toute allure trop grave ; l’on redressait ainsi par-dessus le lyrisme, contre les lourds pavés du naturalisme et contre les tremolos du romantisme, les meilleures traditions de l’esprit français. On ne maudit paS le bourgeois, on se contenta de lui ménager des traquenards. Les « petites revues » furent ainsi pleines de notes et notules de pince-sans-rire qui, pour n’avoir pas le ton administratif ou universitaire, permirent à M. Gaston Deschamps, — en 1901 ! dix ans après les articles de M. Brunetière — de traiter devant les Américains le symbolisme de « décadentisme » et de « plaisanterie ». Beaucoup, en effet, se firent à notre égard plus bourgeois que nature…