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NOVALIS

promise[1]. Son naturel violent autant que son inflexible économie le firent redouter bientôt de tous ses gens. C’est là qu’il se maria. Mais après quelques mois de bonheur il perdit sa femme, tendrement aimée, dans une épidémie de petite vérole. Ce deuil, où il crut reconnaître la main de Dieu, altéra profondément son humeur. Après s’être prodigué auprès des malades, tant que dura l’épidémie, il résolut d’expier à force d’austérités les folies de sa jeunesse. Sans doute son naturel ardent regimbait parfois encore sous l’aiguillon ; mais une tristesse profonde habitait dans son cœur et ramenait obstinément dans son esprit les mêmes pensées.

Dans ses pratiques dévotieuses il apporta bientôt la même fougue et la même sévérité scrupuleuse qui le rendaient si redoutable à son entourage. Il avait pris l’engagement solennel de changer de vie et le renouvelait chaque fois avant de communier. Un jour qu’un ami de son fils, en visite dans la famille, entendait tonner la voix du maître dans une pièce voisine et s’informait du motif qui avait provoqué un pareil éclat, il lui fut répondu qu’ainsi le baron de Hardenberg disait chaque jour l’office à ses gens. Au scrupule religieux s’ajoutait chez lui la haine des nouveautés. Il y mettait une de ces froides obstinations, qui touchent à l’idée-fixe. Le jour où il lut dans la gazette la mort de Louis XVI, il repoussa la feuille avec horreur : « Puisqu’il m’a fallu lire cette infamie », s’écria-t-il, « plus jamais je ne veux toucher à une gazette », — et il tint parole. Sous des apparences calmes et froides couvaient parfois des orages intérieurs, péniblement contenus. « Si chaude que soit ton affection » lui écrivait son fils Frédéric, « si irrésistible que se manifeste parfois ta bonté, il y a pourtant des heures où on ne peut t’approcher qu’avec crainte et angoisse, où ton

  1. Le domaine seigneurial d’Oberwiederstedt avait été presque ruiné par la guerre de Sept ans, à la suite des nombreuses contributions de guerre et réquisitions de toute espèce. Les hypothèques grevaient lourdement la terre et obligèrent les frères Hardenberg de vendre une partie de leur patrimoine. Geschichte des Geschlechts von Hardenberg, par Joh. Wolf. Gœttingen, 1823. II, p. 242-243.)