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ÉDUCATION

demandent et que ta bonté m’a prodigués : donne-moi des soucis, de la misère, de l’angoisse. — mais trempe aussi mon caractère et donne-lui de l’énergie. »[1] Un évènement, peu important en apparence, vint tout-à-coup éclairer d’un jour prophétique ces symptômes encore confus.

Vers la fin de 1792, au moment des premières campagnes contre les armées révolutionnaires françaises, une émotion patriotique s’était emparée de la jeunesse allemande. Précisément après les congés de Noël. Novalis était resté quelques jours malade, de mauvaise humeur, mécontent de lui-même. « Alors, » dit-il, « pour la première fois, comme un trait de lumière, le désir me passa par la tête de me faire soldat. » Il s’étonnait le premier de cette vocation subite. « Jamais auparavant je n’y avais songé », dit-il à son père, « au contraire, je m’en épouvantais comme d’une mesure disciplinaire que vous prendriez à mon égard si mon travail ne répondait pas à votre attente. » Puis il raconte en détail les progrès dans son esprit de ce projet, ou, plus exactement, de cette idée-fixe. D’abord intermittente et facilement refoulée celle-ci gagne sans cesse du terrain. « Le tout restait d’abord comme à l’arrière-plan. Puis mon frère eut un nouvel accès d’hypocondrie. Je lui remontai le moral. Il parla de notre projet. Je réussis assez bien à lui arracher cette idée de l’esprit, mais je ne l’enracinai que davantage dans le mien. » Survient encore une complication sentimentale, une passionnette malheureuse, qui augmente le désarroi. « Une inquiétude me fouettait en tous sens, dont je ne saurais rendre le caractère pénible et violent… Pendant quinze jours je n’ai pas dormi et même les courts assoupissements étaient agités par des rêves angoissants. Alors ma résolution fut mûre : cette fièvre morale tomba, mais la résolution persista. »[2]

Fièvre, insomnies, délire : ce sont bien les habituels accompagnements d’une idée-fixe qui couve encore. Mais celle-

  1. N. S. I, p. 383-384.
  2. Voir cette longue lettre dans la Nachlese, op. cit., p. 27 et suiv.