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NOVALIS

ci, chez le jeune mystique, procède de suggestions morales au moins autant que de causes physiques. Il y a dans cette longue épître un passage, à cet égard, particulièrement significatif. « Je ne puis », dit-il, « recevoir mon éducation d’un cercle étroit ; il faut que j’apprenne à supporter la gloire, à braver la haine. Je serai obligé de bien me connaître et de connaître les autres, car seulement par les autres et avec les autres je progresserai. La solitude ne doit plus me bercer de ses enchantements. L’ennemi ne voudra pas m’épargner : l’ami ne devra pas me ménager. Ainsi seulement je commencerai à exercer mes forces et je deviendrai un homme. » Ces lignes sont la transcription presque littérale d’un passage tiré du Torquato Tasso de Gœthe, paru quelques années auparavant.[1] Est-ce un plagiat ou une réminiscence ? Novalis, s’il faut en croire son biographe et ami Just, possédait une mémoire extraordinaire. Il assimilait avec une prodigieuse rapidité ; puis il déposait le livre et tout paraissait complètement oublié, lorsque soudain, dans la chaleur d’une discussion, sous l’empire d’une forte émotion, il lui arrivait de se remémorer, avec une extraordinaire précision, ses lectures déjà anciennes. Ainsi l’évocation se faisait chez lui soudaine, imprévue, presque obsédante et hallucinatoire. Elle prenait alors aisément le caractère d’une suggestion ou d’une idée-fixe. Voici par exemple en quels termes il raconte à son futur beau-frère le premier « pressentiment » qu’il eut des fiançailles de sa sœur. « Dernièrement j’étais à Iéna et visitais votre ami Kern. La conversation tomba sur vous et sur votre longue affliction ; involontairement je vis se dresser votre image devant moi, et, comme un éclair, l’idée me traversa l’esprit : ce serait un mari pour Caroline. En un instant ce fut oublié, et vous jugez de ma surprise, lorsqu’en rentrant je trouve ma mère sur le pas de la porte, qui me raconte le contenu des lettres de Teplitz. C’est vrai-

  1. Gœthe Torquato Tasso. Acte I, scène 2. — Ce rapprochement a déjà été signalé par Erich Schmidt. — Vierteljahrsschrift fur Litteraturgeschichte. Weimar, 1888, Tome I. p. 287 et suiv.