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NOVALIS

continuel avec la mort ne donne-t-il pas une valeur toute nouvelle à la vie ? Cette pensée l’exalte, et dans une sorte de délire prophétique il s’écrie : « Vous souffrirez d’abord de me voir interrompre ma carrière, de me savoir, moi que vous aimez si tendrement, livré aux hasards et aux caprices de la guerre ; vous souffrirez d’avoir pendant deux ans nourri de vaines ambitions, fait des dépenses inutiles ; mais la vie entière de l’homme ne tient-elle pas à des liens invisibles ?… Ah ! des temps viendront, où nous nous réjouirons du passé. où nous envisagerons avec sérénité l’avenir, où toi-même tu reconnaîtras que ma voix intérieure avait raison et qu’un ange tutélaire me dirigeait. »

Ce qui achève de montrer le caractère anormal de cette crise, c’est son dénoûment même. Tout ce bel enthousiasme tomba aussi brusquement qu’il s’était déclaré. Le père, ému du ton solennel des lettres de son fils, avait fini par donner son consentement. Les premières démarches furent entreprises. Mais, sitôt qu’il eut les moyens de réaliser son rêve, le jeune enthousiaste se trouva tout-à-coup fort refroidi. Sa « voix intérieure » se mit à lui tenir un tout autre langage. Les raisons qu’il donne de son changement d’attitude pourront paraître médiocres. « Une de mes raisons » dit-il, « fut que je vis trop nettement combien serait lent mon avancement et resserrée ma vie, en dépit de tout heureux hasard, avec notre fortune médiocre, et que du reste je pourrais atteindre mon but principal aussi bien par les études. »[1] Après s’être écrié : « Un caractère comme le mien ne se forme que dans le torrent du monde. Jamais je ne pourrai recevoir mon éducation d’un cercle étroit », le voici maintenant qui le prend sur un tout autre ton : « Crois-moi », écrit-il à son frère, « nous pouvons tirer et développer tout de nous-mêmes et rien de ce qui donne le contentement et la fermeté intérieurs n’est attaché à une position extérieure », et, à la manière des enthousiastes désillusionnés, il fait à son

  1. Nachlese, op. cit. p. 41.