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ÉDUCATION

correspondant, qui n’en pouvait mais, une belle semonce sur le calme philosophique, développant victorieusement les bonnes et solides raisons qu’il eût été fort empêché d’entendre quelques semaines auparavant.

Ainsi se révèle déjà en partie la destinée intérieure du jeune idéaliste : son âme d’artiste était capable assurément de vibrer à l’unisson des plus nobles enthousiasmes, de s’exalter et de se passionner jusqu’à l’idée-fixe. Mais la passion chez lui brûle pour ainsi dire son objet dans ses propres flammes. Il manque à cet esprit réceptif, trop passif dans ses rapports avec les volontés étrangères, cette énergie « en dehors », cette coordination active et volontaire qui oriente les forces du désir ou du rêve vers une réalisation effective, et qui constitue le secret ressort d’un caractère viril. C’est une âme à la fois dévorée d’idéal et voluptueuse, quiétiste, lascive même ; l’idéal dont elle s’éprend deviendra pour elle de plus en plus une nostalgie intime. Après avoir brûlé l’objet précis de son désir, elle se consumera lentement elle-même dans cette nostalgie.

Cependant la fréquentation de Frédéric Schlegel et surtout les distractions et les plaisirs faciles de la grande ville saxonne, où Novalis et son frère se flattaient d’avoir « joué un rôle brillant », inspiraient au vieux baron de nouvelles inquiétudes. Une affaire de dettes, restée mystérieuse, porta l’alarme à son comble. L’honneur même du nom courut, paraît-il, quelques risques. « Le pauvre Hardenberg me fait infiniment de peine », écrivait Frédéric Schlegel à son frère, « parce que son honneur vient de recevoir une tache ; il s’est conduit comme un enfant. »[1] Le Grand Croix n’entendait pas plaisanterie sur ce chapitre et il mesurait son ressentiment moins à la gravité de la faute qu’à l’éclat présumé du scandale. Le père menaça de retirer pour toujours sa confiance au jeune imprudent et on savait ce que parler voulait dire chez le vieux baron. Novalis ne plaida guère que les

  1. Walzel. op. cit. p. 84.