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AMOUR MYSTIQUE

pendant déjà déterminé par un libre choix. En moi tressaille un désir impatient d’hyménée, d’union et de postérité… »[1] Dans cet état de suggestibilité la moindre cause incidente agit avec un retentissement profond. Assurément il restait quelque chose de singulier dans le choix de cette liaison. On en pouvait attribuer une bonne part au tempérament même de Novalis. Les hommes se peignent, ou du moins s’expriment un peu dans le choix de la femme qu’ils aiment. À Frédéric Sehlegel il fallait une femme mère de corps et d’esprit, capable d’organiser avec une sollicitude quasi-maternelle sa vie un peu brouillonne, mais aussi disposée à se plier à tous ses caprices, à s’effacer devant ses instincts despotiques. C’est ce que fut pour lui Dorothée Veit. Au contraire une figure tout achevée, un caractère déjà formé et mûr, par leur précison même et leur « actualité », eussent au premier abord moins captivé Novalis. Déjà ses années académiques le montrent sentimental et voluptueux, mais par l’imagination plus encore que par les sens, et le grand charme de Sophie était précisément qu’elle occupait moins son cœur que son imagination, qu’elle ne suspendait pas ses facultés d’analyse ni ses habitudes de rêverie. Elle leur fournissait bien au contraire un thème inépuisable. « Le beau mystère de la jeune fille » écrivait-il, « qui la rend si indiciblement attrayante, est le pressentiment de la maternité, la prescience d’un monde qui sommeille en elle et doit éclore d’elle. Elle est le symbole le plus juste de l’avenir. »

Le premier effet bienfaisant, semble-t-il, de cet amour fut d’exalter chez Novalis son activité professionnelle, lui proposant un but précis et donnant à ses aspirations une certaine unité. Jusqu’à trois fois, raconte le bailli Just, il recopiait le même acte, couvrant des pages entières de synonymes et de termes techniques, afin de se rompre au langage des affaires. Cependant quelques nuages inquiétants apparurent, bientôt au ciel de ce bonheur idyllique. « En gé-

  1. Raich. p. 32.