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NOVALIS

néral ta manière de t’amouracher de cette jeune fille me déplaît », écrivait Érasme, le frère cadet de Novalis, son confident intime et compagnon d’université ; « tu es trop tragique, mon ami, et même si tu songes au mariage tu devrais prendre les choses plus légèrement… Ce qui me déplaît dans ta lettre c’est l’esprit froidement résolu qui y domine ; il témoigne d’une fixité de principes que je ne te souhaite pas pour l’instant. »[1] C’était, semble-t-il, moins encore un attachement réel qu’une « vocation » mystique pour l’amour qui s’affirmait chez le jeune fiancé, à la manière d’une idée-fixe passionnelle, exaltant et enfiévrant son imagination.

Bientôt en effet se dessinent des symptômes tout opposés d’inquiétude, de découragement, d’irrésolution. « Je suis, dit-il, depuis quelque temps tourmenté par de tels accès, sans faiblesse nerveuse, ni hypocondrie, ni sollicitation apparente. »[2] Sans cesse dans ses lettres reviennent les mots de « tranquillité » et « d’inquiétude »… « Une tranquillité durable n’est possible que si on élève l’âme au-dessus des coups du destin » écrit-il après une courte maladie de Sophie. Il presse vivement son père de consentir à ses fiançailles. « Tu peux me rendre ma tranquillité, qui s’est depuis longtemps enfuie de mon cœur… Comme mes frères et sœurs se réjouiront, eux qui avec tant d’affection se sont dévoués à la tranquillité de ma vie. » Le baron von Hardenberg avait fait quelques difficultés. Sophie von Kühn ne possédait ni titre ni fortune ; c’était un parti peu brillant, à tous égards. Cependant, respectueux de l’amour comme de la vocation qui s’affirmait chez ses enfants, il finit par consentir. Mais l’inquiétude persiste chez le jeune fiancé. « La tranquillité avant tout » écrivait-il à son frère ; « hélas si j’avais cette tranquillité, comme je serais heureux ! »

Ces indices n’avaient pas échappé au regard clairvoyant d’Érasme. « Depuis quelque temps j’observe dans tes lettres un certain malaise et un mécontentement de ta situation in-

  1. Nachlese, p. 74 et 75.
  2. Nachlese, p. 117.