Page:Spenlé - Novalis.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
44
NOVALIS

être publiée. Cette lettre, dont le texte se trouve illustré de dessins, est remplie des obscénités les plus ordurières. Or cette lettre est adressée à Novalis, celui qui, au su du seigneur de Rockenthien, briguait la main de sa fille adoptive ! »[1] On comprend que Novalis ait pu écrire à son frère : « Il ne faut pas te faire une idée-fixe de Grüningen… J’ai de l’affection pour ces gens, autant que pour toi et pour moi, mais ce sont des hommes et, après un si long séjour que le mien, le revers malpropre de la médaille ne t’échapperait pas. »[2]

Et Sophie elle-même, quelle âme arriérée encore et inculte ! Son instruction semble avoir été complètement négligée. À peine savait-elle écrire, et avec quelle orthographe, dans quel style ! Pour s’en faire une idée, il faudrait lire ces pauvres petits billets, si insignifiants, si vides même de sentiment, qu’elle griffonnait à son fiancé, et sur lesquels elle dessinait des pattes d’oie. Voici comme elle notait, dans son calendrier, les événements de sa vie quotidienne — (encore est-il impossible à une traduction de rendre l’orthographe invraisemblable de ces quelques extraits) : — « 7. Ce matin Hardenberg est reparti à cheval et il ne s’est rien passé d’autre. — 8. Aujourd’hui nous étions de nouveau seuls et il ne s’est encore rien passé d’autre. — 9. Aujourd’hui encore nous étions seuls et il ne s’est de nouveau rien passé… » Et pourtant cette enfant si arriérée, exerçait sur ceux qui l’approchaient un charme irrésistible. Le père de Novalis, aussi bien que les deux frères cadets, Érasme et Charles, subirent cette séduction qui rayonnait de sa petite personne inconsciente. Lorsqu’une grave maladie l’obligera plus tard à se remettre entre les mains des chirurgiens d’Iéna, c’est, dans l’intérieur si austère, si fermé de Weissenfels qu’elle ira passer le temps de sa convalescence, sur la demande expresse du vieux baron, qui déjà l’aimait tendrement comme une fille. Comment expliquer du reste le

  1. Heilborn, op. cit., p. 58.
  2. Nachlese, p. 99.