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AMOUR MYSTIQUE

culte religieux dont Novalis entoura son souvenir, s’il avait été véritablement et complètement « désabusé » ?

Sans doute les souffrances cruelles que dut supporter cette enfant de quinze ans avec une angélique douceur et qui communiquèrent subitement à son âme une précoce maturité et surtout l’ombre solennelle de la mort qui planait sur cette fragile, sur cette gracieuse figure, ont mêlé à son souvenir une étrange et funèbre poésie. Cependant, c’est, croyons-nous, surtout dans les dispositions personnelles de Novalis, dans la qualité très particulière de son amour qu’il faut chercher, dès le début, l’explication des fluctuations sentimentales qu’il traversait. Une lecture attentive des quelques lettres échangées à ce sujet entre Novalis et son frère Érasme révèle que cette passion avait dès l’origine un caractère insolite, qu’il y entrait des préoccupations autres que la possession plus ou moins éloignée de l’objet aimé. Ainsi seulement peut s’interpréter la lettre bizarre où le jeune poète annonce ses fiançailles à son ancien compagon d’université, Frédéric Schlegel. « Mon étude favorite » écrivait-il, « s’appelle au fond comme ma fiancée : Sophie est le nom de celle-ci. Philosophie est l’âme de ma vie, la clé de mon moi le plus intime. Depuis que j’ai fait la connaissance de la première, je suis tout-à-fait amalgamé avec l’étude de cette dernière… Je sens toujours plus les membres augustes d’un Tout merveilleux, dans lequel il faut me fondre, qui doit devenir la pleine substance de mon moi, et ne puis-je pas tout supporter, puisque j’aime d’un amour, qui dépasse en ampleur les quelques coudées de sa forme terrestre et en durée la vibration de la fibre de vie ? Spinoza et Zinzendorf l’ont explorée, cette idée infinie de l’amour et ils ont pressenti la méthode de nous préparer pour elle et de la réaliser pour nous, sur cette étamine terrestre. »[1]

On pourrait, à plus d’un égard, rapprocher encore cette lettre de celle où le jeune étudiant de Leipzig annonçait à

  1. Raich, op. cit. p. 21.