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NOVALIS

son père sa soudaine vocation militaire. Si l’évènement est différent, le ton est resté le même, ainsi que les dispositions profondes du caractère, qui s’y reflètent. Car ici encore, il s’agit moins d’un amour véritable, dans le sens habituel du mot, que d’une « vocation » mystique pour l’amour, d’une crise éducative du caractère. On y lit toujours la même aspiration nostalgique vers quelque chose d’indéfinissable, qui donnera un contenu éthique à l’existence, qui pénétrera et occupera l’être tout entier pour l’unifier, le discipliner et orienter ses activités. Comme alors il aurait voulu plier son esprit « aux règles rigides d’un système », à présent il sent « les membres augustes d’un Tout merveilleux, dans lequel il lui faut se fondre, qui doit devenir la pleine substance de son moi ». Cette exaltation morale du moi, en pénétrant de plus en plus dans les tissus profonds de la vie affective et instinctive, y produira un surmenage sentimental, d’un caractère tout-à-fait particulier, véritable désappropriation de l’instinct. Déjà dans les lettres qu’échangeait avec son frère le jeune fiancé, on voit poindre les premiers symptômes d’un pareil travail intérieur. « Qu’importe la perte imaginaire d’une Sophie », écrit-il, « auprès des sensations d’une éternité ? » La lecture des mystiques et de Zinzendorf, déjà commencée à cette époque, renforçait encore ces dispositions natives. Pendant un court séjour, qu’il fit en 1796 à Weissenfels, dans la famille de son ami, Frédéric Schlegel fut désagréablement surpris par cette transformation morale. « Dès le premier jour », raconte-t-il à Caroline Schlegel. Hardenberg m’a tellement exaspéré avec sa bigoterie piétiste — seine Herrnhuterei — que j’eusse préféré me remettre en route sur le champ. Et puis je n’ai pu m’empêcher de l’aimer de nouveau, en dépit de cette manie où il semble s’être plongé sans retour,… Quand je dis sa bigoterie piétiste, ce n’est que l’expression la plus courte pour l’esprit de chimère absolue — (absolute Schwærmerei.) »[1] Peut-

  1. Cité par Haym, Die romantische Schule, 1870, p. 901.