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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

sance des rapports sexuels. Chez Novalis la vie sentimentale, très précoce, on se le rappelle, traversée en outre de crises courtes, mais fréquentes et fiévreuses, s’était, dans les derniers temps, haussée à un ton singulièrement élevé et la passion, encore qu’essenliellement idéale, n’en absorbait pas moins toutes les activités de son esprit et risquait d’en user ou d’en distendre les ressorts.

« Chez de pareils malades » observe encore Krafft-Ebing, « la vie morale oscille sans cesse entre l’exaltation et la dépression, en sorte que jamais un état de stabilité morale, neutre ou normal, c’est-à-dire exempt d’émotion, ne peut être atteint. Dans les phases d’exaltation apparaît une poussée inquiète d’activité, accompagnée de désirs, de penchants, d’impulsions insolites, parfois même répréhensibles : dans les phases dépressives le malade souffre d’une irrésolution pénible, d’une incapacité complète d’agir, surtout de l’obsession du suicide et d’une appréhension angoissante de la folie… La mélancolie hystérique se manifeste particulièrement par une continuelle angoisse précordiale, par de fréquents accès de « raptus melancolicus » et l’obsession du suicide, par l’utilisation des sensations hystériques en vue d’idées délirantes… par des hallucinations nombreuses de la vue et un étalage théâtral des sentiments dépressifs, qu’accompagne une certaine coquetterie complaisante à l’égard de ses propres peines et souffrances — (ein gewisses Kokettiren mit dem Leid und Weh) ».[1]

On se rappelle le besoin fiévreux et mal défini d’activité qui s’était emparé du jeune étudiant à Leipzig, lorsque soudain il annonça à son père en termes pathétiques sa vocation militaire, — et surtout le caractère tout à fait insolite qu’avait revêtu à ses yeux ce projet, ou plutôt cette idée-fixe subitement éclose dans son cerveau et accompagnée de fièvre, d’insomnies, de délire et de cauchemars. Des périodes de profond abattement succédaient à ces brusques exaltations. Dans ses lettres il note des accès de décou-

  1. Krafft-Ebing op. cit. II, p. 57 et suiv. et II, p. 118.