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NOVALIS

ragement « sans faiblesse nerveuse ni hypocondrie ni aucune sollicitation apparente ». Les mots de « tranquillité » et d’« inquiétude », avons-nous vu, reviennent sans cesse sous sa plume. La longue maladie de sa fiancée, avec ses périodes de découragement et ses retours d’espoir, n’avait fait qu’accroître le désarroi moral. « Vous ne m’avez pas connu bien portant » écrivait-il à un correspondant d’Iéna, dont il avait fait la connaissance à cette époque orageuse, « des contradictions gigantesques se croisaient dans mon esprit. La maladie de Sophie et mille autres contrariétés exerçaient une influence désastreuse sur mon esprit. »[1]

Mais c’est pendant la période de deuil surtout qu’apparaîtront et s’organiseront tous ces symptômes maladifs. La méditation du suicide — méditation éminemment philosophique, comme on le verra plus loin, — reparaît à chaque page de son Journal ; on ne saurait méconnaître non plus, dans ces pages, une analyse complaisante et parfois un étalage quelque peu romanesque de sa propre souffrance. Enfin, à mesure que s’aggrave le mal physique il note des accès de peur, sans motif apparent, parfois même l’appréhension angoissante de la folie. « Chez celui qui a une âme très sensible », dit-il, « la présence d’un malheur éveille tout le cortège des malheurs passés et voici que tout s’agite confusément, dans une mêlée furieuse et effroyable, sans rime ni raison. » Un de ses cantiques chrétiens semble avoir été composé au sortir d’un pareil accès. « Il y a des heures si angoissantes, d’un trouble si profond », ainsi débute ce chant, « où tout recule et prend des airs de fantôme. Les Effrois, rôdeurs farouches, accourent à pas légers et des Nuits opaques s’appesantissent sur l’âme. Les appuis fermes se dérobent ; le cœur ne sait plus sur quoi se reposer. Le tourbillon des pensées n’obéit pas à la volonté ; la démence attire d’un regard irrésistible. »[2] Il nota les remèdes qui lui paraissent les plus propres à combattre ces défaillances

  1. Novalis Schriften. Édit. Tieck. II, p. 292.
  2. N. S. I, p. 337. (Geistliche Lieder, N IX).