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UN SUICIDE PHILOSOPHIQUE

momentanées. Quelques-uns sont purement physiques et d’une application facile. « Sitôt que j’ai réconforté l’estomac je deviens inexprimablement calme et joyeux… Le monde se fait autre en un clin d’œil. Même les choses les plus tristes apparaissent sous un jour agréable ; on prend de nouveau plaisir à tout, au travail, à la marche, aux occupations sédentaires, à la société. Toutes les espérances se raniment, le brouillard se lève et la plus profonde reconnaissance envers Dieu nous pénètre d’une influence bienfaisante. »

Ainsi se manifeste une extraordinaire dépendance de la vie cérébrale et volontaire à l’endroit de la sensibilité organique. « L’opposition entre le corps et l’esprit », remarque Novalis, « est une des plus passionnantes et des plus dangereuses. » Il y a des heures où les défectuosités biologiques se font cruellement sentir, où la nature pèse lourdement sur l’être moral. Dans un besoin fiévreux de libération celui-ci aspire alors de toutes ses forces à briser les entraves corporelles ; il rêve passionnément d’une vie immatérielle ou tout au moins différemment organisée. C’est un véritable délire de désincarnation, se manifestant d’abord par un idéalisme excessif, par la recherche inquiète d’états psychologiques situés en dehors de la vie et de la perception normales. Sous une forme plus philosophique on voit surgir des interrogations angoissantes, des doutes métaphysiques à l’endroit de la réalité. Notre corps n’est-il pas une barrière opaque, un obstacle qui s’interpose entre la vraie connaissance et notre pensée ? Nos sens ne nous cachent-ils pas la vérité plus qu’ils ne nous la révèlent ? Sont-ils même des informateurs fidèles ? Avec des organes plus parfaits quels miracles nous accomplirions ! Avec des sens plus subtils quels mystères nos yeux contempleraient ! L’invisible, l’occulte, le non-perçu, voilà pour l’esprit ainsi tourmenté la réalité vraie, attrayante, passionnante. « Tout ce qui est réel, effectif, perceptible », dira Novalis, « est déjà de seconde main. Le réel authentique ne peut être perçu par les sens… Tout le