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notes

Propositions XXVI à XXIX. — a) Ces propositions servent de fondement à la science des choses particulières s’appuyant sur l’expérience (représentation sensible) qui fait concevoir, comme possible d’abord, l’existence de certains modes et incite l’entendement à former les idées de certaines essences (cf. Lettre 10). Ce qui, en effet, est nécessaire, a sa place marquée dans l’enchaînement des choses qui se déterminent à l’infini les unes les autres. Il ne s’ensuit pas que nous puissions tout connaître (cf. Lettre 32 où Spinoza renvoie lui-même à la Lettre 30) ou que tout ce que nous croyons être soit réellement. Il ne s’ensuit pas que nous devions considérer comme voulu par Dieu de toute éternité tout ce qui nous parait arriver en nous et hors de nous, et dont nous n’avons qu’une idée confuse et mutilée ; ce serait prêter à Dieu la même ignorance que nous cherchons à détruire en nous. Le rationalisme de Spinoza n’est pas celui de certains savants prêts à croire que toute réalité paraissant donnée est une vérité éternelle ; il n’est nullement un fatalisme inclinant à la paresse et à la résignation, mais une doctrine d’active réforme morale. Il n’identifie pas le fait au droit, ne justifie pas les passions qui rendent la vie misérable et l’homme insupportable à l’homme, mais travaille à leur suppression en cherchant à les expliquer, ce qui est bien différent : mourez, si vous voulez, pour ce que vous croyez faussement être le bien, moi je veux vivre pour le vrai : tel est à peu près le langage que parle Spinoza à ses semblables (cf. Lettre 30).

b) Beaucoup d’interprètes me semblent avoir mal compris quelle relation existe, suivant le principe d’une philosophie de l’immanence, entre Dieu et les choses particulières finies ; suivant les uns, Spinoza prétendrait déduire ces dernières de la nature infinie et éternelle de Dieu ; tel n’est nullement l’objet du spinozisme : les choses finies se déduisent les unes des autres, comme le montre clairement la Proposition 28 ; c’est en ce sens et en ce sens seulement qu’elles sont produites par Dieu. D’autres, par exemple Martineau (A study of Spinoza, London, 1895, p. 209), demandent comment une chose finie en produisant une autre peut lui assurer (can secure it) une essence éternelle ne provenant pas du fini ; la question est mal posée à mon sens : 1o si une chose finie en produit une autre dans la durée (comme un père produit son enfant), la deuxième ne tient pas son essence de la première (cf. Scolie de la Prop. 17, p. 65) ; 2o conçue dans sa vérité, l’existence d’une chose finie (comme son essence) enveloppe l’infini, puisqu’elle est liée à toutes les autres (bien que nous ne sachions pas comment), et c’est en quoi cette chose est un mode ou une affection de Dieu (Deus quatenus).