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Page:Spinoza - Court traité sur Dieu, l’homme et la béatitude.djvu/152

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DIEU, L’HOMME ET LA BÉATITUDE

4o Elle est encore utile au bien public ; car, grâce à elle, aucun juge ne favorisera une partie aux dépens de l’autre, et, contraint de punir l’un et de récompenser l’autre, il le fera avec l’intention de secourir et de favoriser le premier autant que le second.

5o Elle nous délivre de la tristesse, du désespoir, de l’envie, de la terreur, de toutes les mauvaises passions, qui, comme nous le dirons, ne sont toutes que géhenne.

6o Elle nous conduit à ne pas craindre Dieu, comme d’autres craignent le diable qu’ils ont inventé dans leur imagination. Car comment craindrions-nous Dieu, qui est le bien suprême et par lequel toutes choses qui ont une essence sont ce qu’elles sont, et par lequel nous sommes nous-mêmes, nous qui vivons en lui.

7o Elle nous conduit à tout attribuer à Dieu et à aimer lui seul, parce qu’il est ce qu’il y a de plus excellent et de plus parfait, et ainsi de nous immoler entièrement à lui. Car c’est en cela que consiste essentiellement le vrai culte de Dieu, aussi bien que notre salut éternel et notre béatitude, l’unique perfection et le but suprême d’un esclave et d’un instrument étant d’accomplir la fonction qui leur est assignée. Par exemple, lorsqu’un artisan, dans la fabrication d’une pièce d’ouvrage, se sert d’une hache qui fait bien son service, cette hache a atteint à sa fin et à sa perfection. Si cependant cet artisan se disait : « Cette hache m’a bien servi ; je vais la laisser reposer, et je ne m’en servirai plus pour aucun usage, » cette hache serait détournée de son but et ne serait plus même une hache. Ainsi l’homme, en tant qu’il est une partie de la nature, doit suivre les lois de la nature, et c’est là le culte de Dieu ; et, aussi longtemps qu’il fait cela, il est heureux. Et même si Dieu, par impossible, voulait que les hommes ne le servissent plus, ce serait comme s’il voulait leur ravir leur