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DELPHINE.

mettait dans ses relations avec moi tant de bonté protectrice et de galanterie délicate, que son sentiment pour moi réunissait tout ce qu’il y a d’aimable dans les affections d’un père et dans les soins d’un jeune homme. M. d’Albémar, uniquement occupé d’assurer le bonheur du reste de ma vie, dont son âge ne lui permettait pas d’être le témoin, m’avait inspiré cette confiance si douce à ressentir, cette confiance qui remet, pour ainsi dire, à un autre la responsabilité de notre sort, et nous dispense de nous inquiéter de nous-mêmes ! Je le regretterai toujours, et les souvenirs de mon enfance et les premiers jours de ma jeunesse ne peuvent jamais cesser de m’attendrir ; mais quel autre chagrin pourrais-je éprouver en ce moment ? Qu’ai-je à redouter du monde ? je n’y porte que des sentiments doux et bienveillants. Si j’avais été dépourvue de toute espèce d’agréments, peut-être n’aurais-je pu me défendre d’un peu d’aigreur contre les femmes assez heureuses pour plaire ; mais je n’entends retentir autour de moi que des paroles flatteuses : ma position me permet de rendre quelques services, et ne m’oblige jamais à en demander ; je n’ai que des rapports de choix avec les personnes qui m’entourent ; je ne recherche que celles que j’aime ; je ne dis aucun mal des autres : pourquoi donc voudrait-on affliger une créature aussi inoffensive que moi, et dont l’esprit, s’il est vrai que l’éducation que j’ai reçue m’ait donné cet avantage, dont l’esprit, dis-je, n’a d’autre mobile que le désir d’être agréable à ceux que je vois ?

Vous m’accusez de n’être pas aussi bonne catholique que vous, et de n’avoir pas assez de soumission pour les convenances arbitraires de la société. D’abord, loin de blâmer votre dévotion, ma chère cousine, n’en ai-je pas toujours parlé avec respect ? Je sais qu’elle est sincère, et quoiqu’elle n’ait pas entièrement adouci ce que vous avez peut-être de trop âpre dans le caractère, je crois qu’elle contribue à votre bonheur, et je ne me permettrai jamais de l’attaquer ni par des raisonnements ni par des plaisanteries ; mais j’ai reçu une éducation tout à fait différente de la vôtre. Mon respectable époux, en revenant de la guerre d’Amérique, s’était retiré dans la solitude, et s’y livrait à l’examen de toutes les questions morales que la réflexion peut approfondir. Il croyait en Dieu, il espérait l’immortalité de l’âme ; et la vertu fondée sur la bonté était son culte envers l’Être suprême. Orpheline dès mon enfance, je n’ai compris des idées religieuses que ce que M. d’Albémar m’en a enseigné ; et comme il remplissait tous les devoirs de la