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QUATRIÈME PARTIE.

Traitez-moi comme les mourants : leurs amis savent qu’ils vont périr, ils le savent eux-mêmes, mais ils évitent, mais on évite aussi autour d’eux de leur rien dire qui le rappelle ; les mêmes ménagements au moins me sont nécessaires… Élise, je vous les demande.

LETTRE XXVIII. — DELPHINE À MADAME DE LEBENSEI.
Paris, ce 10 novembre.

Ma belle-sœur vous prie, ma chère Élise, de venir la voir demain ; je me suis servie de divers prétextes pour la décider à partir, elle retourne à Montpellier dans deux jours : je lui ai caché mon véritable dessein, elle s’y serait opposée, elle aurait voulu m’emmener avec elle ; ce n’est pas ainsi que je veux me séparer de Léonce, ce n’est pas un autre genre de vie que je vais adopter ; c’est je ne sais quelle mort que je voudrais embrasser ; je ne connais encore que confusément mon avenir, mais, quel qu’il soit, il sera sombre, et je n’y associerai personne.

Ma belle-sœur déteste tellement Paris, que dès qu’elle a pu croire qu’elle ne m’y était plus nécessaire, elle a été très-impatiente de le quitter. L’annonce de son départ a produit sur Léonce un effet dont je devrais m’applaudir, et qui me perce le cœur ; il est convaincu maintenant que je suis décidée à rester, puisque je laisse ma sœur s’en retourner seule. Mathilde est redevenue la même avec Léonce ; il me le dit souvent, et me croit entièrement rassurée à cet égard ; enfin tout se calme autour de moi, et je porte seule le désespoir au fond de mon âme.

Hier même, hier, madame d’Artenas est venue me rappeler l’engagement que j’avais pris d’aller au grand concert de madame de Saint-Albe, qui doit se donner la semaine prochaine ; j’avais entièrement oublié depuis quinze jours tout ce qui a rapport à l’opinion du monde, une douleur réelle avait fait disparaître toutes les peines de l’imagination, et je les estimais ce qu’elles valent. Madame d’Artenas me répéta ce que je sais d’ailleurs avec certitude, c’est que l’autorité de madame de Mondoville, l’influence de mes amis et ceux de Léonce, enfin l’effet naturel de la vérité, ont effacé dans l’opinion les injustices dont j’ai souffert : je la retrouve, la faveur de ce monde, au moment où je le quitte ; il revient à moi, quand le plus pro-