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Page:Staël - Delphine,Garnier,1869.djvu/515

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DELPHINE.

LETTRE XII. — DELPHINE À MADEMOISELLE D’ALBÉMAR.
De l’abbaye du Paradis, ce 6 février.

Une crainte mortelle, ma chère Louise, est venue troubler le peu de calme dont je jouissais ; un mot échappé à madame de Ternan me fait croire que la mère de Léonce lui a mandé que son fils se livrait vivement au projet de prendre parti dans la guerre dont la France est menacée : je sais bien qu’à présent il ne s’éloignera pas de Mathilde ; mais il peut contracter de tels engagements à l’avance, qu’il n’existe plus aucun moyen de le détourner de les remplir ; je ne vois auprès de lui que M. de Lebensei qui puisse mettre un vif intérêt à combattre ce funeste dessein, et je lui écris pour l’en conjurer. Envoyez ma lettre à M. de Lebensei, ma sœur, sans lui faire connaître d’aucune manière dans quel lieu je suis ; cette lettre peut prévenir le malheur que je redoute, c’est assez vous la recommander.

LETTRE XIII. — MADAME D’ALBÉMAR À M. DE LEBENSEI.

Je vous conjure de nouveau, vous qui m’avez comblée des plus touchantes preuves de votre amitié, d’employer toutes les armes que vous donne votre manière de penser et de vous exprimer, pour empêcher Léonce de quitter la France, et de se joindre au parti qui veut faire la guerre avec l’armée des étrangers. Vous savez, comme moi, quels sont les scrupules d’honneur, les sentiments chevaleresques qui pourraient entraîner Léonce dans cette funeste résolution ; combattez-les en les ménageant. Servez-vous de mon nom, si vous croyez qu’il puisse ajouter quelque force à ce que vous direz. Cachez pourtant à Léonce que, du fond de ma retraite, vous avez reçu une lettre de moi : il vous demanderait peut-être de la voir ; il voudrait y répondre lui-même, et renouvellerait, en m’écrivant, une lutte que je n’ai plus la force de supporter. Mais si jamais je vous ai inspiré quelque intérêt ou quelque pitié, faites, au nom du ciel, que, dans le séjour où j’ai enseveli ma destinée, je ne sois pas tout à coup arrachée, par de nouvelles craintes, au triste repos d’un malheur sans espoir.